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vendredi 13 avril 2018

Nucléaire : Que faire des déchets nucléaires ?


Que faire des déchets nucléaires ?




« Mais vous, vous proposez quoi ? »


Fatalement, deux fois sur trois, lorsqu’on dit qu’on s’oppose au stockage des déchets nucléaires à Bure, on nous oppose la question « mais quelle alternative vous proposez ? ».

Face à 70 ans de faillite dans la gestion des déchets nucléaires de la part de tous les pays producteurs de nucléaire, il faudrait que nous, opposant.es, nous ayons une alternative immédiate à proposer pour être légitimes dans la critique de l’enfouissement à Bure, selon la rengaine « on ne condamne pas si on a rien d’autre à proposer » …

En la matière, pour une industrie nucléaire qui génère des déchets toxiques pour des centaines de milliers d’années et dont les accidents peuvent brutalement mettre en danger la vie de millions de personnes ; pour une science atomique dont la mise en pratique concrète est intervenue il y a 70 ans, avant même qu’on en connaisse réellement les conséquences physiques et biologiques, avec les circonstances dramatiques qu’on connaît (Hiroshima), la sagesse la plus élémentaire nous commande humilité et prudence dans nos réponses.




Non, nous n’avons et ne pourrons pas proposer de solutions miracles, parce que les études et les connaissances qu’il faudrait raisonnablement cumuler sur le nucléaire dépassent nos vies humaines.

 Parce que l’irrémédiable est déjà en cours et que chaque jour le nucléaire nous entraîne davantage dans sa fuite en avant. Fruit d’un système économique capitaliste qui recherche un profit et une croissance rapide, le nucléaire s’est construit et imposé sur une longue suite de mensonges d’États pour des besoins énergétiques d’une industrialisation galopante. Depuis le projet Manhattan qui a utilisé les drames d’Hiroshima et Nagasaki pour démontrer la puissance de l’énergie nucléaire, en vue d’un usage civil ; en passant par l’occultation systématique des études physiologiques sur les populations riveraines des essais et accidents nucléaires ; ou encore avec la pollution découlant de l’immersion, par de nombreux pays et durant plusieurs décennies, de fûts de déchets nucléaires et toxiques dans les eaux somaliennes, et envoyés maintenant dans le permafrost sibérien ; l’industrie nucléaire n’est qu’une longue suite de décisions arbitraires, d’erreurs cumulées et maquillées sous le sceau « confidentiel ». Le bilan quant à lui est effroyable : des millions de leucémies et cancers, de décès et des zones géographiques devenues impropres à la vie et à l’agriculture pour des centaines d’années.

« Énergie propre », « Vitrification pour des dizaines d’années », « Aérations souterraines sans fuites en surface » « Langage pour avertir les générations futures des lieux d’enfouissement », sont autant d’approximations scientifiques et d’affirmations politiques qui peinent à masquer la faillite économique (celle d’AREVA notamment) et l’incurie scientifique1 auxquelles les gouvernements doivent faire face, avec le lourd héritage de décennies d’inconséquence de la politique nucléaire. Et plutôt que de tout remettre à plat à partir de ce constat et de repenser entièrement la politique énergétique, de mettre en suspens toute la production nucléaire sans délais et de redimensionner la consommation électrique en conséquence, on entretient un système qui consomme et consume l’avenir.

Le fatalisme sur lequel s’appuie le lobby nucléaire réside beaucoup dans son affirmation que nulle alternative ne saurait aujourd’hui sérieusement prendre le relais de l’atome dans la production, quitte à occulter pour cela les études sur les énergies renouvelables. C’est substituer l’effet à la cause : il s’agit bien ici d’interroger les politiques en matière d’énergies, de questionner la surconsommation et non le rendement énergétique.



Et il ne s’agit pas, entendons-nous bien, de faire acheter à chacun.e des ampoules basse consommation tandis qu’on multiplie à l’infini les appareillages électroniques à domicile, mais bien de réfréner drastiquement les industries dans leur production et leur consommation. Des millions d’hectares de serveurs informatiques nourrissent les appétits insatiables des géants du datamining, facebook, google, etc. qui n’imposent plus aucune limite dans les stockages de données ; les éclairages urbains privés, publicitaires et publics se démultiplient à l’infini pour des raisons esthétiques et commerciales, tandis que dans le même temps on fait assaut d’inventivité pour élaborer des éco-labels et normes d’haute qualité environnementale. La tendance va tout à l’inverse d’une sobriété énergétique, c’est une véritable débauche consumériste, dans un univers de constante et omniprésente interconnexion entre les individus et au sein d’une économie mondialisée. Il faudrait questionner avant tout ce modèle économique et social qui dissocie rendement et loisirs de leurs coûts énergétiques.

Mais que faire des déchets ? Arrêter d’en produire ? Et ceux déjà produits ?




La sueur froide de l’industrie nucléaire et des gouvernements , intimement liés dans le mensonge, c’est la fin de vie de la première génération de centrales nucléaires. Ces vieux dinosaures comme Fessenheim, qui accumulent les incidents techniques, et qui devraient déjà être au rebus mais qui n’ont pas encore trouvé de remplaçants. Des milliers de tonnes de déchets hautement radioactifs issus du démantèlement qui obstruent la file d’attente. La nouvelle génération de réacteurs EPR attend son tour, mais est déjà mal engagée : à Flamanville aussi bien qu’à Olkiluoto (Finlande) on multiplie les incidents de chantiers, les erreurs de conception pour des réacteurs dont le rendement n’est pas démontré mais la dangerosité réelle.

Il faudrait donc remiser rapidement les anciens coucous, pour pouvoir passer à la suite et justifier des décennies d’investissement, plus que coûteux, d’argent public. « The show must go on ! ». Et pour que le show se poursuive, qu’on puisse continuer à vendre des EPR à la Chine, promouvoir un nucléaire civil auprès de tous les « pays émergents », et prétendre renflouer ainsi les caisses très déficitaires de l’énergie atomique, il faut montrer qu’on sait aussi gérer les déchets.




C’est là que CIGÉO, le WIPP, le projet d’Onkalo en Finlande, celui en Ontario ou encore en Australie du sud, interviennent : des trous dans lesquels on pourra jeter tout le passé et les déchets futurs, en attendant de trouver une solution hypothétique miracle d’ici 100 ou 150 ans. On plaque quelques garanties vitrifiées par-dessus pour rassurer tout le monde avec des milliers de pages de spéculations scientifiques, et le tour est joué ! Les politiciens peuvent ainsi faire passer la pilule et voter une loi de réversibilité factice par un hémicycle au 3/4 vide, sans qu’on ait besoin de produire aucune garantie technique de faisabilité de cette réversibilité : aujourd’hui on ne dispose pas réellement des moyens de ressortir les colis des galeries si on devait le faire à court terme. C’est le château de cartes syllogistique du nucléaire : si on a l’autorisation c’est qu’on a toutes les garanties et si on a toutes les garanties, ça veut dire qu’on peut continuer à donner des autorisations ou, comme pour le Bois Lejuc à Bure, se sentir assez de légitimité et d’impunité pour s’en passer. Le tout c’est de plaquer dessus un vernis d’acceptabilité sociale2 : d’une part la commission nationale du débat public (CNDP) aménage une consultation publique illusoire tandis qu’en arrière plan on achète massivement le silence des élus à grands renforts de services rendus (parties de chasse dans les bois nouvellement acquis) et de cachets d’argent public du GIP Meuse ou Haute-Marne, et qu’on crée l’omerta par la pressurisation, l’intimidation et la menace habilement orchestrées envers les propriétaires dont on a besoin des terrains pour construire le futur projet.

En 15 ans on arrive ainsi à extorquer 3000 hectares de terrain, à réduire toute une population au sentiment de résignation et d’impuissance et à mettre sous coupe tous les conseils municipaux, après avoir écarté habilement les détracteurs. L’acceptabilité c’est les soins palliatifs pour un territoire mis à l’agonie dans la phase préliminaire du projet, c’est faire assimiler la mort de l’espoir, l’irrémédiable, à tout un village, un département, une région …

Que faire alors, si les déchets irradient dans les piscines de la Hague, et qu’il faut arrêter les centrales ? Peut-être, a minima, les laisser et les traiter sur les sites irradiés, là où on a déjà profondément pollué l’environnement, et arrêter de les déplacer partout, de polluer ainsi encore plus l’air pour des solutions hypothétiques. Et surtout, arrêter d’en produire afin d’avoir le recul nécessaire à une recherche réelle et sereine de solutions. Et non un pis-aller qui permette de maintenir la production mais qui repousse le problème, empiré, à la génération suivante.



En tous cas on ne peut décemment pas prendre au sérieux des solutions qui évoluent en temps réel, qui s’appuient sur des expériences désastreuses récentes, qui font l’objet d’une communication opaque et qui sont proposées par des organismes avec une politique aussi mafieuse que L’ANDRA dans la Meuse. Nous ne pouvons pas prendre le risque que les nappes phréatiques qui s’étendent bien au-delà de la Meuse soient polluées et impropres à tout usage, voire qu’elles conduisent à un monstrueux écocide. Tout ça parce que des scientifiques et politiciens inconséquents et vénaux du début du 21ème siècle, soucieux de préserver la continuité d’une industrie faillitaire, auront joué aux apprentis sorciers.

En vérité personne n’a de solutions, ni vous, ni nous, ni eux ! Et lorsqu’on a pas de solutions, on arrête les frais, on se pose et on réfléchit à la réponse. Sinon on continue à accumuler les erreurs et on accentue le problème qu’on prétend résoudre. Arrêt immédiat et total du nucléaire !

1 Incendie au WIPP (USA), pollution des eaux et de l’air autour de la Hague (France), fusion du réacteur de Fukushima (Japon), impossibilité de récupérer les fûts dans la mine d’Asse (Allemagne), incidents répétés dans des centrales nucléaires vieillissantes, etc.) Sur le sujet, voir l’interview sur France Culture de Monique Sené, physicienne nucléaire.

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