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vendredi 7 avril 2017

Fukushima : un retour forcé en terre irradiée

Fukushima : 

un retour forcé en terre irradiée



Par Arnaud Vaulerin, correspondant au Japon  



Près de Tomioka, dans la préfecture de Fukushima. Extrait de l’exposition «Fukushima no go zone», à la galerie 247 (Paris XVIIIe) jusqu’au 13 mai. Photo Carlos Ayesta et Guillaume Bression. Hans Lucas


Six ans après la catastrophe, le gouvernement japonais vient de lever l’ordre d’évacuation dans quatre districts autour de la centrale nucléaire. Une abrogation qui met fin aux aides financières et pourrait précipiter la réinstallation de la population dans des lieux encore contaminés.


En apparence, c’est un retour à la normale. Le gouvernement japonais a levé, entre vendredi et samedi, l’ordre d’évacuation imposé aux populations de quatre districts autour de la centrale de Fukushima Daiichi au pire de la crise nucléaire en mars 2011 - trois communes depuis vendredi, la quatrième ce samedi. Mais loin d’être anodine et purement formelle, la décision a des airs de contrainte, voire de menace. Elle va se traduire par la perte automatique de subventions et d’aides financières, notamment au relogement, pour environ 32 000 personnes qui résidaient avant 2011 dans les communes de Tomioka, Namie, Iitate et Kawamata. Et elle risque surtout de précipiter le retour de ces habitants dans des zones où les niveaux de contamination radioactive demeurent élevés et sources d’inquiétude pour la santé. Alors que la Commission internationale de protection radiologique recommande une exposition maximale de 1 millisievert (mSv) à l’année, l’Etat japonais a poussé ce seuil jusqu’à 20 mSv pour ses populations. Soit la limite autorisée pour les travailleurs du nucléaire.

« Pressions »


Les choix du gouvernement de Shinzo Abe ont été jugés suffisamment graves pour que quatre grandes ONG japonaises lancent un appel à plusieurs rapporteurs spéciaux des Nations unies. Dans un courrier en date du 17 février, Greenpeace Japan, Friends of the Earth Japan, Green Action et Human Rights Now leur demandent de «prendre des mesures urgentes» face à ce qu’elles considèrent comme une «réinstallation forcée dans des zones qui restent inadaptées à l’habitat humain». Jeudi, à la veille de l’abrogation de l’ordre d’évacuation, Greenpeace Japan s’est à nouveau manifestée. «Les violations des droits de l’homme résultant de la politique de reconstruction du Premier ministre Abe sont calculées et délibérées», écrit l’ONG avant de faire état de «pressions», «d’informations trompeuses» et de «coercition économique» sur des populations contraintes au retour en raison d’une baisse drastique des indemnisations.

Pour mesurer les enjeux, il faut se pencher sur une carte de la préfecture de Fukushima. Après mars 2011, les territoires pollués par les rejets radioactifs ont été répertoriés en trois zones tenant compte des niveaux de contamination. Dans le secteur A où l’exposition externe est inférieure à 20 mSv à l’année, le retour est autorisé, comme dans certaines parties de Tomioka, Namie, Iitate et Kawamata ce week-end. En zone B, où le niveau d’exposition est compris entre 20 et 50 mSv, aucune réinstallation n’est possible pour l’instant, mais des travaux de décontamination sont entrepris pour faire baisser les taux. Environ 55 000 personnes vivaient dans ces régions avant mars 2011 et recevaient 100 000 yens (837 euros) par personne et par mois depuis la catastrophe. L’Etat japonais cessera ces aides en mars 2018.

Reste la zone C avec une exposition supérieure à 50 mSv où les retours seront difficiles à moyen terme, sinon impossibles. Environ 23 000 personnes résidaient dans ces endroits (Futaba, Okuma, certaines parties de Tomioka, Namie, Katsurao, Minamisoma). Ils ont chacun reçu une compensation de 14,5 millions de yens (121 000 euros) versés par Tepco, la compagnie électrique qui gère la centrale. «Le gouvernement Abe s’active pour que la question de Fukushima apparaisse résolue et faire croire qu’à partir de 2018, avant les JO de Tokyo en 2020, on pourra tourner la page de la catastrophe nucléaire», juge Christopher Cade Mosley, conseiller juridique à l’ONG japonaise Human Rights Now.

Signe que l’Etat est pressé d’en finir et d’économiser, il va également couper l’aide au logement à 27 000 personnes qui, au printemps 2011, avaient fait le choix de fuir les retombées radioactives dans des lieux non désignés comme des zones d’évacuation obligatoire. A compter du 1er avril, ces déplacés de l’atome, qui refusent d’être étiquetés «volontaires» comme le clament les autorités, ne pourront plus compter que sur d’hypothétiques aides d’administrations locales.

Noriko Matsumoto en fait partie. En 2011, elle a quitté Koriyama pour fuir les radiations avec sa fille atteinte de diarrhées et de saignements. «L’Etat japonais se conduit de manière criminelle en forçant les habitants à rentrer dans des endroits contaminés puisqu’il arrête de verser des aides financières», expliquait-elle au début du mois de mars lors d’une conférence de presse à Tokyo. «Dans plusieurs communes, des habitants se sont déjà réinstallés, répond Shinya Fujita, directeur des affaires internationales à l’Agence nationale de la reconstruction, basée à Tokyo. Nous n’obligeons évidemment personne à revenir.»

« L’œuf et la poule »


Le fonctionnaire se garde bien de commenter le seuil d’exposition aux rayons radioactifs conséquent qui inquiète habitants et associations. Le gouvernement japonais s’est donné comme objectif d’atteindre la recommandation de 1 mSv établie par la Commission internationale de protection radiologique. Mais n’a jamais fourni de calendrier pour ce retour à la normale, ni évoqué un quelconque principe de précaution sur l’effet méconnu des faibles doses, c’est-à-dire l’exposition prolongée et répétée aux radiations, un sujet qui mobilise de plus en plus la communauté scientifique. «Des gens ont peur de la contamination, mais nous leur disons que dans la majorité des cas, les relevés d’exposition tournent autour de 2, 3, 4 ou 5 mSv à l’année, reprend Fujita. Ce sont des petites quantités qui ne présentent pas de risques. Après, bien sûr, se sentir en sécurité reste une question personnelle.»

Shinya Fujita est convaincu que les habitants qui reviennent «peuvent profiter d’une vie normale, souvent plus prospère et plus heureuse qu’avant». Il liste les travaux pour remettre en route les circuits d’eau, de gaz et d’électricité, tout comme les infrastructures. Enumère les nouveaux équipements, les programmes d’aides pour relancer le commerce, les «incitations et assistances très généreuses pour les hommes d’affaires qui veulent investir». Le discours tient parfois de la méthode Coué, mais il ne cache pas les difficultés. «Il faut relancer le commerce, c’est le grand défi», insiste le haut fonctionnaire de l’Agence de la reconstruction. Il dit se retrouver en permanence face à la «douloureuse question de l’œuf et de la poule : si les gens ne reviennent pas, on ne peut pas ouvrir de commerce. Et s’il n’y a pas de boutiques, les évacués ne rentrent pas. Il faut que les habitants reviennent. Nous devons être optimistes.»

A Namie, dans cette longue commune qui s’étire du littoral balayé par le tsunami jusqu’aux collines contaminées de la région rurale de Tohoku, 590 habitants doivent revenir dans les jours qui viennent, selon la mairie. Soit une infime partie des 21 434 résidents enregistrés avant le 11 mars 2011. Ils pourront s’approvisionner dans une dizaine de commerces provisoires, se rendre à la mairie, aller consulter à la clinique, retirer de l’argent dans deux banques. Mais ils prendront soin de ne pas s’égarer car plus de 80 % du territoire est très contaminé avec des «hot spots» à plus de 80 mSv dans cette commune où le radiamètre tinte et fait du yo-yo avec les isotopes dispersés en taches de léopard. «Nous ne savons pas combien d’années seront nécessaires pour nettoyer cette zone», reconnaît aujourd’hui Takayuki Nakano, directeur adjoint en charge de la décontamination à la mairie de Namie. Malgré les réunions de terrain, ce fonctionnaire dévoué ne fait pas mystère des difficultés pour convaincre les habitants : manque de vrais commerces, infrastructures limitées ou en réparation, peur des radioéléments.

Une affaire d’anciens


Yoko Oka, une agricultrice, ne rentrera pas tout de suite à Namie. Plusieurs fois décontaminée, sa maison est en zone B, avec des niveaux d’exposition compris entre 20 et 50 mSv, rendant impossible tout retour. «Je m’inquiète de l’eau contaminée qui descend de la montagne. Nous produisions du riz et des légumes, mais nous ne pouvons plus le faire, ça ne se vendra pas. On n’a plus de plaisir pour la récolte. Mais si on ne s’occupe plus de nos terres, ce sera rapidement laissé à l’abandon. Alors, nous allons désherber de temps en temps notre rizière et nettoyer autour de notre maison.» Mais Yoko Oka s’inquiète pour ces deux filles et refuse qu’elles s’occupent de leur maison.

Quand il a lieu, le retour est d’abord une affaire d’anciens et s’effectue au compte-gouttes. A Naraha, où l’ordre d’évacuation a été levé en septembre 2015, seuls 818 des 7 400 habitants de 2011 étaient revenus à la date du 3 mars 2017. L’écrasante majorité a plus de 60 ans. Et pourtant, cette commune a été relativement épargnée par les retombées de la centrale et vite décontaminée. Malgré cela, «les parents sont inquiets des taux de radiation pour leurs enfants. C’est dur de les convaincre, expliquait l’année dernière Michihiro Igari, directeur du département de reconstruction à la mairie. Trop de temps a passé. Les gens ont refait leur vie ailleurs. Certains sont revenus, puis finalement repartis.» Aujourd’hui, il se démène pour ouvrir des commerces coopératifs pérennes, se félicite de l’ouverture d’une infirmerie et du «rétablissement de toute l’infrastructure publique». S’il a lieu un jour, le retour à la normale sera long et lent.

Arnaud Vaulerin correspondant au Japon

Source : http://www.liberation.fr/planete/2017/03/31/fukushima-un-retour-force-en-terre-irradiee_1559867

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