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dimanche 24 mai 2015

La Coopérative Intégrale s'épanouit à Barcelone : ni capitalisme, ni état

Ni capitalisme, ni Etat - 

la Coopérative intégrale

 s’épanouit à Barcelone


18 mai 2015 Emmanuel Daniel (Reporterre) 


Ils fraudent le fisc pour financer la révolution. Avec un budget de 490 000 euros, la Coopérative intégrale catalane (CIC) tente de construire ses propres « services publics coopératifs » dans le domaine de la santé, du logement, du transport ou encore de l’éducation. Leur but : se passer de l’euro, de l’Etat et des banques.

- Barcelone, reportage
Au pied de la Sagrada Familia, des cars venant du monde entier déversent chaque jour des marées de touristes qui rendent laborieuse la progression sur les trottoirs. Tous veulent leur selfie avec en arrière plan l’Ovni architectural de Gaudi. Deux pâtés d’immeubles en contrebas, au numéro 263 de la rue Sardenya, se niche une autre curiosité, mais elle n’apparaît sur aucun guide touristique.
L’immeuble baptisé Aurea Social a tous les attributs du siège d’une entreprise de service prospère. Pourtant, c’est un squat. Sûrement le plus luxueux de Barcelone qui compte pourtant une soixantaine de centres sociaux autogérés comme celui-ci. Quand on s’approche de l’entrée, la porte automatique s’ouvre sur le guichet en bois verni de la réception. Dans ce dédale de bureaux et de couloirs, des groupes de personnes s’affairent, en réunion ou le visage rivé sur leur ordinateur pendant que d’autres font du yoga ou cultivent des plantes médicinales interdites sur l’immense toit-terrasse avec vue sur le haut de la Sagrada Familia. Quand on rentre dans les toilettes, les lumières s’allument sans que l’on ait besoin d’appuyer sur l’interrupteur. On peut régler le système de ventilation de chaque pièce avec une télécommande.
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Un groupe de travail lors d’une assemblée de la CIC.
Mais le faste du bâtiment n’est pas la seule chose qui le distingue des lieux alternatifs barcelonais. Aurea Social abrite aussi le quartier général de la Coopérative Intégrale Catalane (CIC). Ce mastodonte de l’alternative créé en 2010 compte plus de deux mille membres et dispose cette année d’un budget de 490 000 euros dédié à la construction d’un nouveau monde. Ces activistes ne demandent pas de meilleurs retraites, l’instauration d’une taxe carbone ou la séparation entre banques de dépôt et banques d’investissement. Ils ne demandent rien. Et pour cause. « Nous rejetons l’État comme système de contrôle basé sur l’exploitation de l’être humain », expliquent-t-il dans l’Appel à la révolution intégrale qui leur sert de manifeste officieux.
La CIC s’est donné pour logo une fleur multicolore inspirée de la permaculture. Chaque pétale représente une commission et un secteur de la vie (santé, éducation, logement, alimentation, transport, technologie) que la coopérative tente d’extraire des griffes du capitalisme et de l’Etat pour les remettre dans les mains de ses utilisateurs. Ils veulent créer leur propres« services publics coopératifs » gérés par leurs usagers. Exit les politiciens professionnels, les personnes décident de ce qui les concerne lors d’assemblées quinzomadaires ouvertes à tous. Leur but : se passer progressivement de l’euro, de l’Etat et des banques et prouver que « nous pouvons vivre sans capitalisme ».

« Nous pouvons vivre sans capitalisme »

Un rêve d’adolescents immatures ? Peut-être. Toujours est-il qu’ils n’attendent pas le grand soir pour commencer à le réaliser. En quatre ans, ils ont financé ou facilité la création de deux logements sociaux coopératifs, d’une école libre, de deux ateliers de machines-outils collectivisées, d’un centre de santé, d’une colonie éco-industrielle qui travaille sur la souveraineté technologique et d’une banque autogérée sans intérêts.
La coopérative a également popularisé des techniques et des machines pour rouler en utilisant le moins possible de pétrole et dynamisé une monnaie parallèle utilisée par deux mille personnes mais aussi un atelier de transformation de produits écologiques, des greniers alimentaires et une centrale de distribution de nourriture biologique couvrant toute la Catalogne. La CIC a aussi permis à une dizaine de communautés de trouver des terres pour s’installer en zone rurale et aide les personnes sur le point de se faire expulser de leur logement à le garder ou à en trouver un autre.
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Filtre à huile qui permet au camion de rouler sans essence ou presque, 5 litres utilisés l’hiver dernier.
Pour faire tourner cette grosse machine, la CIC verse des « assignations », sorte d’argent de poche pour activistes, à environ 70 personnes qui touchent entre 200 et 900 euros par mois, en fonction de leurs besoins. Pour financer ses activités, elle ne demande évidemment pas de subventions. En fait, elle se sert elle-même dans les caisses de l’Etat via l’insoumission fiscale.
L’insoumission fiscale ? Pour comprendre, je m’éloigne de Barcelone et emprunte les routes ridiculement étroites qui mènent vers un fournil coopératif dans le nord-ouest de la Catalogne. Angel m’accueille avec un sourire et referme rapidement la porte derrière moi afin de ne pas perdre la chaleur du four. Ce trentenaire aux allures de gendre idéal est boulanger autodidacte, mais il est aussi hors la loi. Sa coopérative tourne bien, pourtant elle ne verse pas un sou au fisc espagnol. D’ailleurs, aux yeux de l’Etat, l’entreprise n’existe pas. Angel et ses cinq collaborateurs se répartissent les revenus de leur activité sans que l’administration ne voie la couleur d’un euro.
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Angel dans son fournil coopératif
Comment cela est-il possible ? Il est membre de Libertanonima [nom modifié pour ne pas faciliter le travail du fisc], une coopérative créée par la CIC qui sert de parapluie juridique à des petits artisans et commerçants, les dispensant ainsi de créer leur entreprise. Elle propose à ses « socios auto-ocupados » (membres auto-entrepreneurs) un service comptable et administratif mutualisé et sert d’interface entre eux et l’Etat. En échange de ces services, les membres paient une participation à la coopérative proportionnelle à leurs recettes et lui versent la TVA qu’ils auraient dû payer à l’Etat. Dans le cas d’Angel, un peu plus de mille euros par an, une somme largement inférieure aux charges qu’il aurait dû payer s’il avait monté une entreprise classique.
« Aux yeux de la loi, nous sommes des coopérateurs bénévoles de la coopérative, m’explique-t-il en me montrant l’attestation fournie par Libertanonima qu’il garde dans un tiroir en cas de contrôle. C’est comme si on était un groupe de cyclistes, qu’on avait un local et qu’on bossait dessus ensemble. » Sauf qu’ici, les cyclistes sont boulangers et tirent un revenu de leur activité. « Ce n’est pas illégal, c’est a-légal, précise-t-il. On jongle avec la loi. » D’ailleurs il parle de sa situation avec détachement et ne requiert pas l’anonymat. Et si jamais les enquêteurs du fisc décident de le contrôler, il les renvoie vers le siège de Libertanonima .

La banquière devenue révolutionnaire

Ils seront reçus à Aurea Social par Angels, une ancienne banquière qui a décidé de rejoindre les rangs révolutionnaires. Dans son bureau aux parois de verre, cette femme au chignon sévère et aux cheveux grisonnants les attend de pied ferme. « Ils sont déjà venus deux fois et n’ont rien trouvé à redire, on joue au chat et à la souris avec l’Etat. Et pour l’instant, la souris gagne », dit-elle avec un sourire satisfait, tout en s’affaissant sur le dossier flexible de son siège. Angels fait partie des 70 personnes qui touchent des assignations. Pour m’expliquer le complexe montage juridique qui leur a jusqu’à présent permis de passer outre la vigilance du fisc, elle saisit un crayon et une feuille et se met à dessiner.
L’astuce est la suivante : Libertanonima demande à ses membres de faire passer leurs factures personnelles pour des frais professionnels, ce faisant la coopérative équilibre artificiellement sa balance de TVA. Elle verse donc à l’Etat une somme dérisoire et réinjecte le reste dans son réseau militant. La CIC a créé plusieurs coopératives comme Libertanonima afin de noyer le poisson et de limiter les risques. Ils font en effet attention à ne jamais excéder les 120 000 € de fraude potentielle, afin de ne pas encourir de poursuites pénales. Quand une coopérative s’approche du chiffre fatidique, une nouvelle entité est créée.

De la fraude fiscale à des fins sociales

A la tête de ces « parapluies juridiques », cinq personnes, pour la plupart insolvables, sont prêtes à assumer les risques judiciaires. Piquete est l’une d’elles. Quand il ne chante pas des chansons révolutionnaires, ce cinquantenaire aux allures de rocker qui affiche son engagement anarchiste sur sont Tshirt prend part à la commission juridique de la CIC. Volubile, il est adepte de la « désobéissance civile et économique » et prend son rôle très au sérieux. « En 36, il y a eu une révolution libertaire ici en Catalogne. Des milliers d’entreprises ont été collectivisées et on a fonctionné sans chef pendant trois ans. Mais pour rendre cela possible, il a fallu des décennies de préparation morale et culturelle. C’est ce que nous essayons de faire avec la CIC, nous créons des outils pour faciliter la transition. Nous préparons la révolution tout en la faisant. »
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Piquete
Et leurs outils ne s’adressent pas qu’aux militants professionnels. Restaurateurs, maraîchers, bijoutiers, bûcherons, brasseurs, graphistes, documentaristes, éditeurs... Ils sont près de 700 artistes, artisans ou petits commerçants, seuls ou en mini collectifs de travail, à utiliser le statut de « socio auto-ocupado ». Mais la CIC n’a rien inventé. Nombre d’entreprises capitalistes font également de l’optimisation fiscale afin de se soustraire à l’impôt. Sauf qu’ici, les gains sont distribués de manière collective à des projets sociaux. De la fraude fiscale en bande organisée ? Oui, mais à des fins révolutionnaires !
- A SUIVRE

Lire aussi : A Toulouse, une « coopérative intégrale » prépare l’après-capitalisme

Source et photos : Emmanuel Daniel pour Reporterre
. Photo chapô : la boulangerie coopérative où travaille Angel.


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