Ce blog rassemble, à la manière d'un journal participatif, les messages postés à l'adresse lemurparle@gmail.com par les personnes qui fréquentent, de près ou de loin, les cafés repaires de Villefranche de Conflent et de Perpignan.
Mais pas que.
Et oui, vous aussi vous pouvez y participer, nous faire partager vos infos, vos réactions, vos coups de coeur et vos coups de gueule, tout ce qui nous aidera à nous serrer les coudes, ensemble, face à tout ce que l'on nous sert de pré-mâché, de préconisé, de prêt-à-penser. Vous avez l'adresse mail, @ bientôt de vous lire...

BLOG EN COURS D'ACTUALISATION...
...MERCI DE VOTRE COMPREHENSION...

vendredi 2 janvier 2015

Que sont devenus les Roms expulsés du bidonville des Coquetiers à Bobigny en octobre

«Libération» a retrouvé des roms expulsés du bidonville des Coquetiers

(MIS À JOUR : )
Jeudi soir, la famille M. était à la rue, la voiture dans laquelle il dormait ayant été confisquée par la police. (Photo Martin Colombet. Libération)
ENQUÊTE

Rencontre avec plusieurs familles qui vivaient dans le campement de Bobigny évacué le 21 octobre.

Chaque soir, la maîtresse leur donne deux tickets de métro. Un pour retrouver leurs parents, un autre pour revenir le lendemain. Certains sont hébergés par le Samu social à l’autre bout de l’Ile-de-France ; ils se lèvent à 5 heures du matin pour ne pas manquer le début de la classe. «On a réussi à leur donner le goût de l’école. Beaucoup sont revenus», explique Véronique Decker, la directrice énergique de l’école Marie Curie de Bobigny. Son établissement est entouré de pelleteuses et de barres d’immeubles en travaux. Tout près, se trouvait le campement des Coquetiers, l’un des plus anciens bidonvilles de la Seine-Saint-Denis. Jusqu’au 21 octobre, vivaient là environ 200 personnes roms, sans eau, sanitaires ni électricité.

Ce campement ressemblait à bien d’autres, mais il avait une particularité : la quasi-totalité des enfants étaient scolarisés dans les écoles de la ville, grâce à l’implication d’un fort réseau associatif. Tout s’est arrêté le 21 octobre, quand le site a été démantelé au terme d’une longue bataille judiciaire. Les autorités assurent avoir fait les choses du mieux possible, en proposant à trente familles des solutions de relogement dans des villes de province ou dans des hôtels sociaux. Les autres se sont retrouvés sans rien. Le soir de l’expulsion, une soixantaine d’habitants erraient place de la République à Paris, avant d’être finalement hébergés dans un gymnase.
Que sont-ils devenus ? «Certains ont disparu dans la nature», se désole Andrea Caizzi, membre du collectif de soutien aux Roms de Bobigny. «On essaie de garder le contact, mais c’est compliqué.»Ceux hébergés dans le gymnase dorment désormais dans les centres d’hébergement d’urgence à Ivry et Clichy, et leurs enfants continuent d’aller à leur ancienne école, à Bobigny.
Sur les trente familles envoyées en province, moins d’une dizaine, selon le militant, est encore sur place. Un peu plus, rectifie Didier Leschi, le préfet délégué pour l’égalité des chances de Seine-Saint-Denis. «C’est une expérimentation que nous avons menée, il faudra en tirer les leçons et continuer à inventer des solutions. C’est un public dont la prise en charge n’est pas évidente.» Plusieurs familles sont revenues près de Paris, et se retrouvent souvent dans des situations catastrophiques, «ils dorment dans des voitures ou chez des proches», raconte Andrea Caizzi, «épuisé de constater qu'il n'y a pas de réponse humaine, ni politique
Qu’en disent les anciens habitants des Coquetiers ? Libération est parti à la recherche de ces familles roms. Trois d’entre elles racontent leur parcours, leurs espoirs, souvent douchés mais parfois encore intacts. Témoignages.

«QUAND ON EST ENTRÉS, ON A TROUVÉ L’APPARTEMENT TRÈS GRAND»

Simona et son mari Laurentiu sont partis au Havre, ils y sont toujours.
Le jour de l’expulsion des Coquetiers, Simona se souvient avoir«pleuré jusqu’à la gare» Saint-Lazare. «Notre vie était à Paris. On n’avait jamais entendu parler du Havre, on pensait que c’était un village.» Accompagnée de son mari Laurentiu et de son plus jeune fils, Ciprian, 14 ans, cette Roumaine de 39 ans a finalement embarqué dans le train en direction de la ville normande, où le foyer d’insertion Adoma lui proposait un trois-pièces. «La directrice du foyer nous attendait à la gare et nous a amenés ici. Il y avait tout : lits, frigo, vêtements… Quand on est entrés, on a trouvé l’appartement très grand.»
Les premiers pas dans cette nouvelle vie ne sont pas évidents.«Imagine-toi, après des années dans les camps, une maison te tombe dessus !» Pendant deux ou trois jours, la famille ne met pas le nez dehors. «On avait besoin de se reposer, on avait peur de la police. On a lavé toutes nos affaires, par peur d’avoir attrapé un microbe aux Coquetiers.»
Six semaines après leur arrivée, Simona et sa famille semblent avoir pris leurs repères. Le mari prépare un café turc, pendant que son épouse fait le tour du propriétaire : deux chambres, une cuisine, une salle de bains, un salon. C’est là qu’elle a disposé, sur une étagère, son matériel de manucure. Le métier qu’elle rêverait d’exercer, mais à Pôle Emploi, on lui a dit que ça serait compliqué. Qu’importe, balaye Simona, «je peux faire vendeuse en magasin ou ranger des rayons. En tout cas, je n’ai pas envie de rester à la maison toute la journée». En attendant, elle suit des cours de français, deux heures par semaine. La lecture lui pose encore problème. A la maison, elle s’exerce devant BFM. «Comme c’est tout le temps la même chose, si je ne comprends pas un mot, je regarde une deuxième fois», dit-elle.
Son mari Laurentiu, lui, a plus de difficultés avec la langue. Il avait travaillé dans le bâtiment, au noir, en région parisienne, mais pour l’instant, «il n’a plus rien», raconte son épouse. Mais pour Simona, le plus important reste l’avenir de son cadet, Ciprian. Le grand, Antonio, 19 ans, a préféré rester en région parisienne. Ciprian, lui, est inscrit dans un collège havrais. «Je ne veux pas que mes enfants aient la même vie que moi, confie Simona. J’ai fait des bêtises, j’ai fait la manche.» Elle s’allume une nouvelle clope, réfléchit quelques instants. «Certains habitants des Coquetiers avaient la chance d’être choisis. Ils ont quitté les foyers où ils étaient accueillis, et maintenant ils dorment dans des voitures. Chacun fait sa vie comme il le veut, mais pour moi, c’était la grande chance de mon enfant.» La jeune femme dit voir la France comme son «pays natal» et être prête à faire «les démarches pour s’intégrer».
«La France n’est pas un pays raciste, développe-t-elle. Si c’était le cas, Adoma ne nous aurait pas soutenus.» Elle poursuit : «Il y a beaucoup de gens dans la même "merde" que nous. On n’est pas les seuls à aider.» Cet appartement, Simona espère le quitter un jour.«Il y a d’autres familles en difficulté qui en ont besoin. On va avoir un métier et on bougera.»

«ILS SONT ARRIVÉS TREMPÉS À L’ÉCOLE, SANS RIEN»

La famille M. avait été orientée dans un foyer dans la Somme. Elle est revenue à Bobigny.
(Photo Martin Colombet pour Libération)
Jusqu’à mercredi, la famille M. dormait dans une voiture, en bord de route à Bobigny. «C’est celle-là, c’est là qu’on va la nuit.» Il ouvre la porte arrière avec difficulté, la serrure est cassée. Dans le coffre, un matelas en mousse jaune et une couverture polaire en boule. Nicola (le prénom a été changé), dix ans, explique que son papa s’allonge en travers parce qu’en longueur il ne rentre pas. Lui dort toujours du côté gauche, avec sa petite sœur de cinq ans. Leur mère, de l’autre côté. «Il fait très froid la nuit, on garde le manteau.» Il n’y a pas de chauffage, la batterie de la voiture est à plat. Le matelas est mouillé «parce qu’il y a des gouttes qui tombent du plafond.» La voiture est garée pas très loin de l’ancien campement des Coquetiers où vivait cette famille bulgare jusqu’à l’évacuation le 21 octobre dernier. «C’était la misère là-bas aussi. Tu sais, une petite fille était morte [Melisa, ndlr] dans un incendie.»
Peu avant l’expulsion, les autorités leur ont proposé un foyer d’hébergement à Doullens, près d’Amiens dans la Somme. «J’étais content d’aller là-bas. On a pris le train, celui avec lequel on va à la mer, pas les trains verts de la ville, les autres.» Nicola raconte avec ses mots, c’est le seul de la famille à parler français. Il joue un peu les interprètes pour ses parents, mais n’aime pas trop ça. Pourquoi être revenus à Bobigny ? Pourquoi avoir quitté le foyer ? Il traduit la question à sa mère, en se tortillant. «Elle dit qu’on avait des problèmes avec les autres personnes du foyer, ils ne voulaient pas de nous, on est roms. Et puis, moi, je te l’ai déjà dit : là-bas, j’avais pas d’école. La dame disait tout le temps "après", "après". Mais moi, je peux pas rester sans école. J’ai envie d’apprendre à lire et le français. J’ai oublié des mots déjà.»
La famille a quitté la Somme au bout d’un mois et demi. Il y a dix jours, Nicola est retourné à l’école Marie Curie où il allait avant. Ce n’est pas le seul, comme le raconte la directrice Véronique Decker. L’ensemble de l’équipe éducative et le collectif de soutien aux Roms de Bobigny, avaient réussi à scolariser l’ensemble des enfants vivant aux Coquetiers. «Ils étaient inscrits dans les différentes écoles de la ville. Dans la mienne, j’avais pris soin de ne radier aucun enfant, j’attendais la fin du trimestre. J’ai bien fait, sur les 16, 4 ne sont jamais partis, 10 sont revenus et 4 autres sont scolarisés en province.»
Nicola nous montre son école. Il est trop content, car cet après-midi-là, il a construit en classe une fusée, «un travail de grand», juge-t-il, les yeux écarquillés. Il ne sait pas encore lire tout à fait, mais ça commence à venir. En calcul, «le plus, ça va. Mais le moins…» - petite moue - «c’est difficile». Plus tard, il sera docteur. Il a hésité avec policier, et puis finalement non. «Quand j’aurai terminé docteur, j’irai un peu en Bulgarie puis je reviendrai en France parce que j’aime bien les Français.» Il nous montrerait bien le terrain où il va le soir après l’école depuis dix jours. «Mais tu peux pas venir, le monsieur du terrain n’aime pas les Français. Je sais pas pourquoi.» Ce même monsieur, nous explique-t-il, donne des cigarettes à ses parents, et de la nourriture. «On mange dehors. Les toilettes, c’est la misère. Tu peux pas trouver une place, il y a du caca jusque-là.» Il met son bras au niveau du cou.
Depuis mercredi soir, la situation de cette famille s’est encore dégradée. Les policiers ont confisqué leur voiture, envoyée à la fourrière. La carte grise n’est pas à leur nom, ils n’ont aucun moyen de la récupérer, ni même les quelques affaires qu’ils avaient à l’intérieur. «Ils sont arrivés trempés à l’école mercredi soir, sans rien», raconte la directrice. Elle appelle le 115, parvient par miracle à avoir quelqu’un au bout du fil… «Mais on m’a répondu qu’il n’y avait plus de place… Aucune solution. Comment peut-on laisser des enfants dormir dans la rue ?» Elle leur a payé une nuit d’hôtel. Mais jeudi soir, ils étaient à nouveau sans solution, le 115 ne répondant même plus. A 22 heures, épuisée d’écouter en boucle la musique d’attente du Samu social, la directrice leur a ouvert son canapé-lit. «On verra demain.»

«JE PEUX ME LAVER AVANT D’ALLER AU TRAVAIL»

Gabriel est dans un hôtel en attendant le logement promis.
Le campement des Coquetiers, à Bobigny, avant son démantèlement le 21 octobre.
(Photo Lionel Charrier. Myop)
Gabriel, 28 ans dans quelques jours, a vécu quatre ans aux Coquetiers dans une baraque en bois qu’il avait construite. Sa fille de trois ans y est née. «Elle a marché là-bas, elle a commencé à parler»… Aujourd’hui, il s’estime chanceux. Gabriel fait partie de ceux qui se sont vu promettre un logement. Un trois-pièces à Montfermeil dont il n’a pourtant pas encore vu la couleur. «C’est à cause des papiers qui manquent. Mais ça va aller, tranquille», dit-il en haussant les épaules.
Depuis que le bidonville a été évacué, il dort dans un hôtel social à la Courneuve avec sa femme et la petite. «On a l’eau, des toilettes. Tu vois, c’est beaucoup mieux qu’aux Coquetiers. Je peux me laver avant d’aller au travail.» Cela va faire un an que son employeur le déclare. Il monte et démonte les structures dans les salons d’exposition. «Je suis embauché en fonction des besoins. Parfois, c’est pour trois heures. Parfois c’est un ou deux jours par semaine. ça dépend.» Dans l’idéal, il aimerait un temps plein, avec un salaire fixe mais bon, «je dis déjà merci avec ça».
On le rencontre dans l’interminable file d’attente de la préfecture de Bobigny, il a fait une demande de titre de séjour. Il parle doucement, un peu gêné. «Pour moi, c’est bien, j’ai un toit. Mais ma mère et mon petit frère qui étaient aussi aux Coquetiers, ils ont rien du tout.» Ils n’étaient pas sur le site quand les services sociaux sont passés pour réaliser leur fameux «diagnostic social». Aucune solution de relogement ne leur a été proposée. «Tu peux pas laisser ta mère et ton petit frère de dix ans dans la merde, c’est pas possible», ajoute Gabriel, le regard sombre. Ils ont trouvé refuge dans une petite caravane d’un oncle. La journée, sa mère fait la manche. Son petit frère, lui, continue comme il peut à aller à l’école de Bobigny.
(1) Adoma, qui gère les foyers d’insertion où ont été accueillies les familles, n’a pas voulu répondre à nos questions, indiquant qu’il ne «communiquerait» sur le sujet que «fin janvier».


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire