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jeudi 1 janvier 2015

A NDDL : on rêve d'une "commune libre de la ZAD"

Parmi les habitants de la «ZAD» (1) de Notre-Dame-des-Landes, Stéphane fait partie des plus anciens. Ce trentenaire s’est installé dans le bocage nantais en 2009. «A l’époque, ça paraissait fou d’imaginer arrêter le projet d’aéroport», se souvient-il. Cinq ans plus tard, les pelleteuses d’AGO (Aéroport du Grand-Ouest) n’ont toujours pas pelleté. Le dossier est au point mort, et les autorités ont annoncé que rien ne débuterait tant que subsisteraient des recours juridiques. Sur la ZAD, beaucoup pensent que ce projet vieux de 40 ans ne verra jamais le jour. Quelque 200 personnes vivent désormais sur la zone de 1 600 hectares, disséminées sur une soixantaine de sites : des vieilles fermes retapées, des maisons squattées, des cabanes construites au fil de la mobilisation.
Les Fosses noires, où Stéphane a posé ses valises, est un des lieux «historiques». Avec sa caravane Internet et sa boulangerie, c’est un endroit «de croisement et de sociabilité». Ici, l’habitat est en dur, mais beaucoup de zadistes continuent de dormir dans des cabanes en bois et torchis, dont le standing s’est nettement amélioré. «On veut que ça soit le plus confortable possible», explique un habitant. «L’hiver, pour se chauffer, on compte sur les poêles à bois et une bonne isolation.» Les occupants de la ZAD visent aussi l’autosuffisance alimentaire. Une vingtaine de projets agricoles, allant de l’élevage de vaches laitières à l’apiculture, en passant par la plantation de tabac et la fabrication de beurre ou de fromage, ont vu le jour. Il y a peu, un verger a été planté.
«Judas», croisé au bord d’un chemin de traverse, s’occupe d’animaux un peu particuliers : des boucs des fossés. «Des débroussailleuses en puissance», sourit-il. Le gaillard, 35 ans, est arrivé à Notre-Dame-des-Landes il y a cinq mois, en provenance de Belgique, où il bossait comme fermier. «J’ai entendu dire qu’il y avait besoin de main-d’œuvre ici, raconte-t-il. Depuis, je n’arrête pas, il y a du boulot tout le temps.» Sa mission, avec son bouc prénommé «Jean-Jacques», c’est d’assurer l’entretien des fossés et des haies, plutôt oubliés ces dernières années. Pour accélérer la cadence, il a organisé des saillies sur des chèvres de la même espèce. «On verra bien ce que ça donne.» Stéphane détaille : «En fait, on redécouvre le travail et sa vertu sociale, conviviale, partageuse. On travaille avec les paysans du coin, on échange les savoirs.»

«L’ARGENT NE DOIT PAS ÊTRE UN FREIN»

Sur la ZAD, les occupations ne manquent pas. Dans chaque lieu de vie, les volontaires s’organisent en groupes de travail. Au programme : autoconstruction, maraîchage, plantes médicinales ou encore communication. Le journal «ZAD News» est distribué tous les lundis après-midi par une équipe de facteurs. Des activités culturelles (projections, débats, concerts) ont été mises en place. Un groupe d’écoute accueille les personnes en souffrance psychologique ou en délicatesse avec les drogues. Plus réjouissant, une «maison des enfants» a été aménagée, «dans laquelle il y a eu plusieurs accouchements», raconte un habitant.
Dans un bois des alentours, on tente de mettre en pratique la convergence des luttes avec les militants «No Border» de Calais. Plusieurs migrants de la Corne de l’Afrique ont été accueillis, et reçoivent de l’aide pour les demandes d’asile, des cours de français. Le vendredi, c’est le jour du «non-marché», où l’on retrouve les produits estampillés ZAD à «prix libre»«L’argent ne doit pas être un frein, mais il ne faut pas non plus que certains s’épuisent pour d’autres», explique Stéphane. Les habitants disent en tout cas avoir grandement réduit leurs besoins et (bien) vivre avec quelques centaines d’euros par mois. Certains exercent des petits boulots salariés aux alentours, ou des travaux agricoles épisodiques. D’autres se contentent du RSA.

«LES BLAGUES GRAVELEUSES ENTRE MECS, ON LES LAISSE DE CÔTÉ»

Cette vie en collectivité n’échappe pas à de (nombreux) moments de débats, voire de tensions. Faut-il, par exemple, accepter les véhicules motorisés pour les travaux des champs ? Les partisans de la traction animale s’opposent à ceux qui jugent l’aide d’un tracteur parfois bienvenue. On s’empoigne aussi sur les rapports entre les sexes. «L’objectif, c’est de casser les schémas classiques, détaille Judas. Les blagues graveleuses entre mecs, on les laisse de côté. Et si une fille a envie de conduire un tracteur ou de manier une tronçonneuse, elle le fait.»
Les zadistes ont beau majoritairement «combattre le capitalisme», les «rapports de classe» subsistent, reconnaît une ancienne étudiante en socio. «Ceux qui ont les codes et l’habitude de parler en public prennent plus facilement la parole en AG», illustre-t-elle.«Certains sortent de la fac, d’autres de la rue, ajoute Stéphane. On retrouve ici les inégalités sociales classiques, mais on tâche d’en faire un sujet d’attention.» Les chantiers collectifs, par exemple, permettent aux plus réticents de s’exprimer davantage.

 UNE «COMMUNE LIBRE DE LA ZAD» ?

La disparition des forces de l’ordre, invisibles sur place depuis 18 mois, incite aussi à penser à plus long terme. «Les autorités savent que cette ZAD est emblématique et que si les gendarmes et les pelleteuses reviennent, la mobilisation sera d’ampleur, estime Stéphane. Lors de l’opération César [tentative d’évacuation du site à l’automne 2012, NDLR], des gens ont relevé la tête et dit non.» Ils rêvent maintenant de construire autre chose.
Une alternative que Jean-Jo, militant anarchiste d’une cinquantaine d’années, imagine comme une «commune libre de la ZAD». Au Haut-Fay, cet ancien cadre commercial dans l’industrie anime une «université populaire autogérée». «La période des expulsions, il y a deux ans, était la moins intéressante à vivre. Le vrai processus révolutionnaire commence aujourd’hui. Pour cela, l’enjeu, c’est de contrôler la terre et d’arriver à y bosser de manière pratique, ce qui nous crédibilisera aux yeux des voisins.»

«IL EST POSSIBLE D’ENRAYER LA MACHINE»

Les zadistes sont d’accord sur un point : il faut barrer la route aux«cumulards», les agriculteurs qui ont accepté un dédommagement pour céder leurs terres au conseil général, mais qui pourraient, si le projet n’aboutissait pas, tenter de les récupérer. La plupart espèrent aussi conserver la liberté qui irrigue les lieux. «Il ne faut pas en faire une enclave ou un ghetto à ciel ouvert, illustre Stéphane. Mais un endroit où on vit et on lutte de manière différente.»
Judas s’imagine volontiers vivre «un bout de temps» sur la ZAD. Mais il ne se voit pas comme un «militant déterminé», plutôt comme un «travailleur». Il veut expérimenter à Notre-Dame-des-Landes une «agriculture qui ne soit pas destructrice», espère aussi y trouver une autre forme de vie en société. «Dans le monde du travail, je ne me suis pris que des portes. Ici, il y a moins d’entraves, moins d’intermédiaires.»
L’idée, «face aux grands projets qui risquent de faire disparaître des possibilités existentielles», c’est de «réinventer le quotidien», synthétise Stéphane. «On n’offre pas d’emplois ou de possibilités de consommer. Ce n’est pas forcément un message facile à entendre quand tu es pris dans la vie de tous les jours, mais les ZAD rendent tangible qu’il est possible d’enrayer la machine.»
(1) «Zone à défendre»
Le tour de France des ZadLe tour de France des Zad
Sylvain MOUILLARD Envoyé spécial à Notre-Dame-des-Landes
Source : http://www.liberation.fr/societe/2014/12/17/a-notre-dame-des-landes-on-reve-d-une-commune-libre-de-la-zad_1165235

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