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mercredi 3 décembre 2014

NDDL/Sivens : La Compensation Ecologique institue un Droit à Détruire


De Notre-Dame-des-Landes à Sivens : quand la compensation écologique institue un droit à détruire

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Depuis la mort de Rémi Fraisse, le 26 octobre dernier, la construction du barrage du Testet est provisoirement suspendue. Parmi les aspects clés du dossier, la compensation écologique. Déplacement des espèces protégées, reconstitution de nouvelles zones humides : tout est possible si l’on en croit les promoteurs du projet. Or, pour de nombreuses instances, ces mesures sont jugées inadéquates, à l’instar de ce qui se joue aussi à Notre-Dame-des-Landes. Les pouvoirs publics entendent pourtant généraliser la compensation dans le cadre de la loi Biodiversité, en cours d’examen. Un « droit à détruire » pourrait ainsi être institué auquel s’opposent de plus en plus d’organisations et de citoyens.
En plus d’être des espèces protégées, qu’ont en commun le triton crêté, les lamproies de Planer, l’Agrion de Mercure et le flûteau nageant ? Ce sont toutes des espèces qui, parmi d’autres, sont au cœur des mesures de compensation écologique prévues lors de la construction du barrage de Sivens ou de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Ces nouvelles infrastructures, réalisées sur des terres agricoles, des bois et des zones humides génèrent une perte de biodiversité et la dégradation d’habitats naturels que les pouvoirs publics souhaitent désormais voir « compensés ».
Creuser des mares, planter des arbres, fabriquer des refuges pour espèces protégées, déplacer les espèces menacées fait désormais partie de l’appareillage technico-juridique dont doit se doter n’importe quel nouveau projet d’aménagement du territoire et de construction d’infrastructure (aéroports, autoroutes, lignes ferroviaires, zones commerciales, etc.). Si la compensation écologique est prévue par la loi relative à la protection de la nature de 1976 dans le cadre de la doctrine « Éviter, réduire, compenser », ce n’est que très récemment qu’elle n’a été mise en œuvre de manière plus systématique, notamment suite aux critiques croissantes auxquelles sont exposées la construction de ces nouvelles infrastructures.

Le barrage de Sivens, écologiquement exemplaire ?

Selon l’étude d’impact du projet de barrage de Sivens, la zone humide du Testet fait partie « des zones humides majeures du département du point de vue de la biodiversité », notamment en raison de la présence d’au moins 94 espèces animales protégées qui y trouvent un espace d’alimentation, de reproduction et de repos. Le Testet joue un rôle écologique vital dans les cycles biologiques. Mais pas d’inquiétude, le barrage de Sivens est « un projet environnemental exemplaire » selon la préfecture du Tarn puisque, après inventaire et analyse de l’état de conservation des espèces,« onze mesures compensatoires ont été mises à la charge du maître d’ouvrage afin de rétablir l’état de conservation de l’ensemble des espèces impactées » [1].
Ainsi les espèces protégées ou menacées comme les lamproies de Planer, l’Agrion de Mercure, ainsi que des amphibiens et des reptiles, doivent être déplacées afin d’assurer leur préservation. De plus, il est prévu que les habitats de ces espèces, notamment celles qui vivent spécifiquement dans des zones humides, soient maintenus. De deux manières : des zones humides boisées de trois hectares devaient être protégées en aval du projet, tandis que de nouvelles zones humides devaient être reconstituées pour une surface totale de 19,5 hectares, soit une fois et demi la surface de la zone ennoyée.

La zone humide du Testet inadéquatement compensée

Le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN), ainsi que le Conseil national de protection de la nature (CNPN) par deux fois, ont pourtant émis des avis défavorables sur ces mesures de compensation jugeant qu’elles présentaient « un caractère hypothétique, voire inadéquat, notamment celles relatives à la restauration des zones humides ». Ainsi, les mesures de compensation des zones humides ennoyées prévues par le Conseil général du Tarn ne sont pas jugées adéquates : la surface qui doit être restaurée est insuffisante, tandis que son éparpillement sur neuf zones distinctes non reliées entre elles – en raison de la faible disponibilité de terrains dans la vallée – implique la dispersion des habitats des espèces protégées et la disparition de la seule zone humide de cette importance dans le département.
Le Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet considère que les mesures de compensation ne sont pas acceptables et que leur faiblesse constitue un argument suffisant pour stopper le projet de barrage. Avis partagé par Jacques Thomas, écologue et spécialiste reconnu des zones humides qui, après s’être rendu sur les lieux, considère que « l’ensemble de la mesure de réduction des impacts qu’a conditionné l’autorisation administrative des travaux est compromis » (Le Monde du 4 novembre). En effet, sur les trois hectares de zone humide qu’il était prévu de conserver en aval, plus de la moitié a déjà été détruite par les travaux (remblais, piste pour les engins, fossés creusés par les forces de l’ordre).

Un milieu artificiel vaut-il un milieu naturel ?

Ces critiques ne sont pas sans rappeler celles portant sur les mesures de compensation prévues en cas de construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (lire cet article de Basta !). Lors d’un patient et exhaustif travail d’analyse [2] des mesures de compensation prévues, le groupe des « décompenseurs en lutte » [3]a montré que les surfaces impactées par le projet sont sous-estimées, que les zones humides sont mal caractérisées et sous-évaluées, et que la biodiversité présente est également sous-évaluée puisque des espèces ont tout simplement été oubliées (y compris certaines espèces de mammifères, telle que la loutre d’Europe).
Par ailleurs, un écosystème est un système complexe fait d’innombrables et inextricables interactions entre les sols, les cycles biochimiques, les espèces qui l’habitent ou encore les fonctions écologiques qu’il assure. A Notre-Dame-des-Landes, la compensation envisagée par les aménageurs se fait à « la découpe » : parcelle par parcelle, espèce par espèce, fonction par fonction. Évaluée et quantifiée pour être comparée aux autres, chacune de ses tranches devient alors interchangeable, la perte de l’une pouvant être compensée par la restauration d’une autre. Ce qui relève, pour les décompenseurs en lutte, plus d’un « bricolage » que d’une « méthode scientifique ».
En raison des difficultés techniques inhérentes à l’intervention en milieu naturel – le déplacement d’espèces ne fonctionne pas nécessairement – et des approximations inévitables, les exemples de Notre-Dame-des-Landes et du Testet montrent à l’évidence l’impossibilité de compenser de façon adéquate des zones d’habitat naturel et de biodiversité détruites. Par exemple, si les pertes sont immédiates et définitives, les restaurations, à supposer qu’elles soient équivalentes, ne peuvent être que progressives. Bien souvent, elles ne sont même assurées que de façon temporaire. L’équivalence affichée par les promoteurs de la compensation entre des milieux naturels détruits et la reconstruction de milieux complètement artificiels est donc très discutable.

Le gouvernement veut généraliser la compensation

Pourtant, les pouvoirs publics entendent généraliser et diversifier la mise en œuvre des dispositifs de compensation. Ainsi, la loi Biodiversité [4] qui est en cours de lecture au Parlement pourrait créer des « obligations de compensation écologique ». Là où la doctrine de la loi de 1976 ne faisait que mentionner la possibilité de compensation sans en déterminer les contours, le projet de loi actuel l’instituerait en politique publique. Avec le risque qu’elle serve de dérivatif facile et généralisé aux étapes visant à éviter et/ou réduire les dégradations écologiques.
Si les conditions d’équivalence entre les dégradations écologiques et les mesures de compensation ne sont pas précisées par le projet de loi, les outils disponibles pour mener cette compensation sont eux nommément désignés. Le maître d’ouvrage pourra ainsi réaliser des actions de compensation écologique de sa propre initiative, sur son terrain ou le terrain d’autrui. Sinon, il pourra également recourir à un « opérateur de compensation », et/ou contribuer au financement d’une « réserve d’actifs naturels », lui permettant de se libérer de ces obligations en contribuant financièrement à ces opérations.

Vers des banques d’actifs biodiversité ?

Le projet de loi biodiversité pourrait donc créer en droit français ce que l’on appelle des banques d’actifs biodiversité. Là où les cas de Sivens et Notre-Dame-des-Landes relèvent d’une compensation par la demande – c’est l’aménageur qui génère et réalise ou fait réaliser la compensation – les banques d’actifs biodiversité permettent de développer une compensation par l’offre. Ces banques d’un nouveau genre mènent des projets de restauration de biodiversité qu’elles transforment ensuite en unité de biodiversité préservée ou restaurée. Ces banques génèrent donc des actifs biodiversité avant même que la dégradation écologique de l’aménagement n’apparaisse. Pour justifier leurs projets devant les pouvoirs publics, les aménageurs n’ont plus qu’à faire appel à ces banques d’actifs constituées ex ante et leur acheter quelques actifs biodiversité.
L’introduction des « réserves d’actifs naturels », par voie d’amendement gouvernemental en première lecture à l’Assemblée nationale, est le fruit de l’intense lobbying politique mené par la CDC biodiversité, filiale de la Caisse des dépôts et consignations. La CDC biodiversité est à ce jour le seul opérateur autorisé d’une réserve d’actifs naturels en France qui puisse servir de banque de compensation. Cette banque d’actifs naturels se trouve dans la plaine de la Crau, zone de steppe semi-aride dans les Bouches du Rhône, à proximité de zones protégées. Unique interlocuteur du gouvernement sur le sujet, la CDC biodiversité, et son directeur Laurent Piermont, expriment régulièrement leur fierté d’avoir été les premiers à investir dans une telle réserve d’actifs naturels et d’œuvrer à leur reconnaissance et leur promotion dans le droit français.

Vers l’institution d’un droit à détruire

De son côté, la Commission européenne promeut la compensation écologique à travers l’initiative « No net loss » (Pas de perte nette), selon laquelle il serait possible de compenser sans avoir aucune perte nette, voire même en ayant un gain net de biodiversité, de nature. Après avoir mené une consultation publique cet été (lire cet article de Basta !), la Commission devrait engager une révision de la directive Habitat avec la volonté de déployer ces mécanismes à l’échelle de toute l’Union, et ce dès les prochaines années. Pour la Commission européenne, et pour les gouvernements européens les plus en avance sur le sujet, comme le Royaume-Uni, la mise en œuvre de ces mécanismes de compensation écologique sont jugés essentiels, notamment dans l’optique de pouvoir poursuivre la construction de nouvelles infrastructures.
La compensation écologique institue donc une double promesse. La promesse de remplacer ce qui est détruit à un endroit par un bout de nature restaurée par l’activité humaine à un autre endroit. Et la promesse de pouvoir poursuivre la construction de nouvelles infrastructures, tout en préservant l’environnement. Pour plus d’une centaine d’organisations du monde entier ayant signé une déclaration « Non à la compensation biodiversité » [5], de tels dispositifs instituent dès lors un véritable droit à détruire : plutôt que d’être déclarée illégale ou contraire à la protection de l’environnement, la construction de nouvelles infrastructures source de perte de biodiversité pourrait ainsi être encouragée.
Maxime Combes

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