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mardi 10 décembre 2013

Semences : Pourquoi les Ecologistes Ont Voté la Loi sur les Contrefaçons


Semences : pourquoi les écologistes ont voté la loi sur les contrefaçons

PAR 


Le vote des écologistes en faveur d’une loi qui prévoit de nouveaux moyens de répression contre les contrefaçons a suscité beaucoup de réactions. Car en l’état, la production à la ferme par un agriculteur de ses semences constitue une contrefaçon. Basta ! a souhaité revenir sur les raisons de ce vote dans un entretien avec Hélène Lipietz, sénatrice écologiste. « Nous ne pouvions rien faire dans une loi de procédure pour modifier une loi de fond », explique-t-elle. A part obtenir la garantie que ce point sera traité dans le cadre de la loi d’avenir agricole, examinée en janvier 2014 à l’Assemblée nationale. « C’est là, assure t-elle, qu’il va falloir mettre la pression et faire du lobbying ».
Basta ! : La loi sur les contrefaçons a été adoptée à l’unanimité le 20 novembre. Le groupe écologiste avait pourtant émis des réserves en déposant des amendements pour en exclure les semences de ferme [1]. Cette loi représente-t-elle un danger pour les agriculteurs, arboriculteurs ou maraîchers qui utilisent leur propres graines pour en faire de la semence ?
Hélène Lipietz [2] : Ce n’est pas cette proposition de loi qui présente un danger, mais les marchandises contrefaites qui peuvent se révéler très dangereuses pour leurs utilisateurs. Cette proposition de loi concerne toutes les contrefaçons – les freins de voiture, les médicaments, les produits de luxe ou encore le matériel électronique – et pas l’agriculture en particulier. Les problèmes de contrefaçon agricole doivent représenter à peine cinq lignes sur un rapport [3] de quatre-vingt pages...
Ces quelques lignes sont néanmoins importantes : la répression de la contrefaçon, en étant étendue à l’ensemble des branches de la propriété intellectuelle, y compris aux « obtentions végétales » et donc aux semences de ferme, peut s’abattre sur les agriculteurs qui ressèment des variétés sélectionnées par l’industrie semencière.
Nous avons reçu des propositions d’amendements émanant du Réseau semences paysannes et de la Confédération paysanne. J’ai été la première à relayer la question des semences de ferme, car je sais que c’est un problème. La loi a été votée en plusieurs morceaux : la loi de fond sur la contrefaçon en 2007, puis la loi sur les certificats d’obtention végétale (en 2011, ndlr). La proposition de loi examinée le 20 novembre modifie certaines procédures de saisie pré-judiciaire dans le domaine de la contrefaçon. Ce n’est pas une loi de fond mais de procédure. Ce qui signifie qu’on ne peut faire des amendements que sur la procédure, et non sur le fond.
Consciente qu’il y a un problème sur les semences, j’ai cependant déposé un « amendement d’appel », pour signifier au gouvernement qu’il ne faut pas oublier cette question (lire l’intervention au Sénat). Le gouvernement a répondu que j’avais raison de le rappeler et que ce point sera traité dans le cadre de la loi d’avenir agricole, qui est une loi de fond (examinée en séance à l’Assemblée nationale en janvier 2014, ndlr). Je ne peux que prendre acte. Ma mission d’alerte a été claire et je ne peux pas aller plus loin.
Le groupe communiste (CRC) est le seul à avoir maintenu au vote son amendement sur les semence de ferme, qui a été soutenu par 20 sénateurs et donc rejeté. Pourquoi le groupe écologiste a-t-il retiré les amendements déposés ?
Les représentants du groupe CRC ne sont pas juristes. Cela ne sert à rien de déposer des amendements qui, en admettant qu’ils puissent être adoptés, auraient été censurés par le Conseil constitutionnel.
Cela n’aurait-il pas permis de porter le débat dans les plus hautes instances ?
En tant que juriste, j’essaie de faire une loi cohérente. Je ne m’amuse pas à vouloir mettre dans une loi quelque chose qui ne concerne pas cette loi. Les communistes sont dans une autre logique, une « logique de position », tout aussi louable. Mais j’estime qu’il vaut mieux montrer que l’on a compris la règle du jeu législatif pour que, lorsque je présenterai un amendement au bon endroit et à la bonne place, il ait des chances d’être voté et d’être intégré au corpus législatif. C’est une question de stratégie. J’essaie d’être pragmatique.
Vous expliquez sur votre site que la loi « permet déjà la réutilisation par un agriculteur des semences paysannes » en vous référant à l’article L624-23-1 du code de la propriété intellectuelle. Mais cet article a été créé dans le cadre de la loi du 8 décembre 2011 sur les Certificats d’Obtention Végétale qui limite le droit de ressemer à 21 espèces. Et ce à condition de payer des redevances à l’obtenteur [4]...
Oui, il faut rectifier cet article qui pose problème. Mais cet article n’était pas en débat. Je ne pouvais donc pas le rectifier dans le cadre de la loi de saisie des contrefaçons. C’est tout.
Faut-il dès lors supprimer les certificats d’obtention végétale ?
Je n’ai pas de réponse, je ne suis pas à la Commission des affaires agricoles. Le jour où je serai membre de la commission agricole, j’aurai des réponses pertinentes à vous faire. Je suis compétente sur un point de droit : ce projet de loi discuté a pour but de lutter contre la contrefaçon, quelle qu’elle soit. Il n’y a pas simplement les semences fermières ou les sacs Vuitton, mais aussi les médicaments qui contiennent non pas des principes actifs mais de la farine ! Le risque de tomber sur un médicament contrefait ou sur des fausses plaquettes de frein me paraît plus élevé que le risque d’avoir peut-être un jour des gros semenciers qui réussissent à faire saisir des semences agricoles. En tant que législateur, je devais faire un choix. J’ai fait celui de la pertinence de la saisie des contrefaçons qui sont dangereuses.
Vous avez voté cette loi en échange de la promesse du gouvernement de revenir sur cette question lors du débat sur la loi d’orientation agricole au printemps 2014. N’est-ce pas « périlleux » au regard du bilan des engagements socialistes vis-à-vis des écologistes ? D’autant que cette promesse d’exclure les semences de ferme du champs de la contrefaçon a déjà été faite en 2007, sous un gouvernement de droite, et que la loi de 2011 a maintenu le caractère délictueux de la semence de la ferme [5]...
Bien sûr, c’est périlleux ! Mais n’est-il pas plus périlleux de laisser sur le marché des médicaments ou des plaquettes de freins contrefaits ? J’ai fait ce choix-là, peut-être ai-je eu tort. Mais comment pourrais-je dire que je ne veux pas que des médicaments contrefaits ou que des plaquettes de freins contrefaites soient saisis le plus vite possible ?
Le fond du problème n’est vraiment pas dans la saisine de la contrefaçon. Nous n’avons rien changé sur le fond du droit, nous n’avions pas les possibilités de le faire. On a l’impression que le législateur est tout puissant, mais il y a des règles prévues par la Constitution : il n’est pas possible constitutionnellement de changer des règles de fond lorsqu’on est dans une loi de procédure, ou inversement. On a fait le maximum. C’est au moment de la discussion de la loi d’avenir agricole que les gens devront se mobiliser.
Quelles garanties précises vont demander les écologistes, dans le cadre de la loi d’orientation agricole, pour éviter que l’industrie semencière entrave la liberté de cultiver et le droit de replanter ? Et pour que ce droit ne soit pas réprimé ?
La loi d’avenir agricole relève de la commission agriculture, dont je ne suis pas membre. C’est là qu’il va falloir mettre la pression et faire du lobbying. En tant que citoyenne, je trouve scandaleux que les semences végétales puissent faire l’objet de brevets par les géants de l’alimentaire, alors qu’elles sont fondamentales pour préserver la planète d’une crise alimentaire majeure. Et je trouve encore plus scandaleux qu’il y ait une liste de semences qu’on ait le droit de cultiver alors qu’on a besoin du maximum de richesse biologique pour préserver un potentiel de gènes différents en cas d’épidémies. Je peux vous le dire en tant que citoyenne. Mais en tant que législateur, je n’ai pas les compétences en matière agricole pour vous répondre.
Propos recueillis par Sophie Chapelle
@Sophie_Chapelle
A lire :
- L’article publié par Basta ! le 22 novembre 2013 : Agriculteurs et jardiniers seront-ils bientôt obligés de cultiver dans la clandestinité ?
- La tribune publiée par Hélène Lipietz le 24 novembre 2013 : Pourquoi les écologistes ont voté une loi de procédure sur la contrefaçon

Notes



[1] L’un des amendements demandait notamment à insérer un article additionnel ainsi rédigé : « La production à la ferme, par un agriculteur, de ses semences, de ses plants ou de ses animaux pour les besoins de son exploitation agricole, ne constitue pas une contrefaçon. La production à la ferme, par un agriculteur, de ses ferments, levains, levures et autres préparations naturelles à base de micro-organismes ou d’autres éléments naturels issus de sa ferme ou de l’environnement naturel, et destinés à ses productions fermières ou aux soins de ses cultures ou de ses animaux, ne constitue pas une contrefaçon. » (voir ici).


[2] Sénatrice EELV de Seine et Marne, Hélène Lipietz est notamment membre de la Commission des Lois (voir son site).


[3] Cette proposition de loi socialiste est issue d’un rapport (consultable ici) rédigé dans le cadre d’une mission d’information chargée d’évaluer les effets de la loi de fond sur la contrefaçon datant de 2007.


[4] Avec une exemption pour le « petit agriculteur » (entendu comme celui qui ne cultive pas d’espèces végétales sur une surface supérieure à celle qui serait nécessaire pour produire 92 tonnes de céréales).


[5] En 2007 déjà, une nouvelle loi sur la contrefaçon avait fait de la semence produite à la ferme une contrefaçon. A l’époque, le groupe socialiste avait initialement soutenu, avec des élus communistes, écologistes et centristes, un amendement qui excluait de la loi les semences de ferme. Ils avaient retiré leur amendement à la suite de la promesse du ministre de l’époque, Hervé Novelli, de reconnaître le droit des agriculteurs de produire leurs semences et de ne pas le considérer comme une contrefaçon dans une future loi. Or, la loi de 2011 a maintenu le caractère délictueux des semences de ferme.

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