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mardi 31 décembre 2013

Pierre Rabhi : "le superflu est sans limites alors qu’on n’assure pas l’indispensable"

Pierre Rabhi : "le superflu est sans limites alors qu’on n’assure pas l’indispensable"

BARNABÉ BINCTIN (REPORTERRE)
dimanche 29 décembre 2013


Démographie, mariage homosexuel, OGM, ministres écologistes : Pierre Rabhi répond en franchise et fermement, dans le deuxième volet du long entretien qu’il nous a accordés.

Après un premier entretien il y a quinze joursReporterre retrouve Pierre Rabhi pour prolonger la discussion sur les grands enjeux écologiques de la société française.
Le gouvernement organise un débat public national la « transition énergétique ». Qu’en attendez-vous ? Que doit mettre en place le gouvernement ?
Pierre Rabhi - Avant toute chose, il faut d’abord qu’on réduise notre avidité. Comment voulez-vous répondre à une insatiabilité permanente par des ressources limitées ? Lorsqu’on cherche à résoudre un problème, il faut commencer par savoir ce qui le détermine. Quel est le problème du monde ? Notre insatiabilité. Et qu’est-ce qu’on a fait de l’être humain ? Un être insatiable.
On ne met jamais en évidence ce que l’on a, ce qui peut déjà nous réjouir. On ne parle jamais de ce dont on a vraiment besoin. J’ai besoin d’être nourri, j’ai besoin d’être vêtu, j’ai besoin d’être abrité et j’ai besoin d’être soigné. Tous ces éléments-là doivent être partagés avec l’ensemble du genre humain. Tout le monde doit, légitimement, bénéficier de ça. Après, que reste-t-il ? Il reste ce qu’on appelle le superflu. Et aujourd’hui, le superflu est sans limites alors que l’on ne parvient pas à assurer l’indispensable... Il paraît que le marché de luxe ne connaît pas de crise. Par contre, on n’a plus d’argent pour ce qui est indispensable, pour nourrir des enfants qui viennent au monde, pour les aider à survivre et à créer une société conviviale et belle.
Et les gaz de schistes participent de cette tendance énergivore…
Ça prouve une fois de plus que la civilisation moderne est la civilisation la plus fragile de toute l’histoire de l’humanité. On a créé une civilisation fondée sur la consommation énergétique, sur l’usage de l’énergie, et on est devenu prêt à toutes les concessions pour que ça perdure. Parce qu’on sait parfaitement qu’aujourd’hui, sans pétrole et sans électricité, tout s’effondre. On a fondé une civilisation qui a un besoin absolument vital, et sans aucune restriction, de la combustion énergétique. On comprend ensuite pourquoi la question de l’énergie devient si gigantesque, et pourquoi on essaye de trouver d’autres ressources…
Pourtant, notre population augmente, nous sommes sept milliards d’êtres humains sur Terre, bientôt neuf. Cela va augmenter le niveau de consommation, il faut un réseau de production énergétique important, pour les transports, pour l’alimentation,...
Non, l’histoire de la démographie n’a rien à voir là-dedans. Je suis radical là-dessus, je ne peux pas supporter qu’on dise que c’est parce que nous sommes trop nombreux qu’il y a la faim dans le monde. On agite en permanence cette idée et beaucoup de gens pensent ça. C’est une réalité dans nos consciences collectives, mais ce n’est pas vrai !
Il n’y a pas la faim dans le monde parce que nous sommes trop nombreux, il y a la faim dans le monde parce que nous faisons partie des gens qui se baffrent au-dessus de la nécessité, qui satisfont leur poubelle et leur décharge publique bien plus que tous les autres… Cela repose la question éthique de notre système planétaire.
Aujourd’hui, on concentre beaucoup de moyens sur le meurtre, on est capable de créer des armes terrifiantes et on consacre beaucoup d’argent pour fabriquer des missiles intercontinentaux ou des avions de guerre. C’est significatif du niveau moral où nous nous situons. Une grande partie de l’énergie humaine est consacrée à la destruction de l’homme par l’homme. Et l’autre partie de l’énergie est destinée à détruire le milieu vivant. Ça veut dire que l’on rend beaucoup plus hommage à l’aspect négatif de notre destin : on entretient beaucoup mieux ce qui relève de la mort que ce qui relève de la vie.
Un autre sujet de ce début d’année, qui intéresse beaucoup les écologistes, c’est le mariage homosexuel. De quelle manifestation étiez-vous en janvier ?
D’aucune.
Vous n’avez pas d’avis sur le mariage homosexuel ?
Pour être honnête, je ne sais pas comment l’aborder. Cette mobilisation est devenue un tel enjeu de société ces dernières semaines... Pour moi, ça ne figure pas sur l’agenda des priorités. Je crois que c’est quelque chose qui m’intéresse assez peu, je suis beaucoup plus préoccupé par les enfants qui meurent de faim. C’est là qu’on se rend compte que nous ne subissons pas les problèmes fondamentaux, que nous sommes dans une sorte de délire généralisé. Le mariage homosexuel est un symbole de cette manipulation des consciences, où on crée des phénomènes de société qui n’en sont pas.
Le principe de lutte pour l’égalité du droit au mariage ne vous touche pas particulièrement ?
Si, bien sûr. Je suis plein de compassion à l’égard de ceux qui ont été victimes de discrimination et d’exaction. Que des gens s’aiment et aient des attirances, quels que soient les sexes... je ne vois pas où est le problème. Ils sont libres de le faire et heureusement. Mais que cela devienne ensuite une problématique sociale aussi énorme… Par contre, ce qui me pose problème dans le débat actuel, c’est qu’il y a une troisième entité qui n’est pas consulté. C’est l’enfant. L’enfant qu’on va faire naître par je ne sais quel stratagème…
Vous pensez à la PMA ?
Je ne peux pas souscrire à un tel mécanisme de procréation artificielle. Est-ce que l’on réalise ce que cela implique comme destin pour la personne concernée ? J’essaye d’imaginer un enfant à l’école, expliquant à ses camarades comment il est venu au monde... Je ne peux pas comprendre qu’on fasse advenir sur Terre un être humain selon un tel procédé, qui l’engage pour toute sa vie, sans qu’il ait pu un seul instant être consulté auparavant. Car personne ne peut se mettre à sa place pour savoir comment il vivre cela...
Privilégieriez-vous l’adoption dans ce cas, ou êtes-vous simplement opposé à l’idée d’enfants pour les couples homosexuels ?
Non, je n’ai aucun problème avec l’idée de familles homoparentales, bien au contraire. Vous savez, il y a tellement d’enfants qui ne demanderaient que de l’amour pour grandir... L’adoption me semble un processus beaucoup plus sain en effet, j’y vois beaucoup moins d’inconvénients que dans les artifices de la PMA.
La PMA, c’est simple, je m’y oppose. C’est un syndrome inhérent à la modernité : on intègre dans des activités humaines des éléments qui n’ont pas raison d’être. Qu’est-ce que l’agriculture chimique, si ce n’est d’empoisonner la terre pour nourrir les gens ? On s’étonne après que les gens soient malades, qu’ils aient des cancers. Il y a une logique simple : si on met des poisons dans la Terre, on les retrouve dans le corps humain, dans le corps animal et dans le corps végétal. Si on n’est pas assez intelligent pour comprendre cette évidence, alors c’est désespérant.
La question des OGM paraît être un peu plus importante dans votre hiérarchie des priorités...
Les OGM sont un crime contre l’humanité. C’est un enjeu énorme pour moi. Il faut comprendre ce que cela implique pour nos semences traditionnelles et reproductibles. Depuis 12 000 ans, date de ce qu’on appelle la révolution néolithique, l’humanité dans son aventure agronomique n’a pas cessé, sur toute la planète, de repérer dans le sauvage ce qui peut être domestiqué à des fins de survie. Cela a représenté un potentiel énorme que l’humanité s’est transmise de génération en génération.
Combien de variétés ont-elles ainsi circulé ? Une multitude. On a mutualisé tout cela, et on a enrichi le potentiel alimentaire de l’humanité par le partage et l’échange. Aujourd’hui, on prétend qu’on va supprimer cette richesse immense – 60 % des semences anciennes ont déjà disparu ! – ce qui laisse le champ libre et un espace commercial aux OGM. C’est cousu de fil blanc, mais c’est criminel.
Que peut faire le monde paysan face à ça ?
On a détruit les paysans, qui géraient les entités en système écologique. On en a fait des exploitants agricoles, en leur disant« consommez toujours plus d’engrais chimiques, de pesticides,... ». Et on a ainsi ouvert des marchés mondiaux, qui nous donnent une nourriture qui porte en elle les germes de la mort.
Est-ce au niveau politique qu’il faut agir aujourd’hui ? Que pensez-vous des deux ministres écologistes au sein du gouvernement, par exemple ?
Cela ne m’inspire rien. Tant qu’on maintiendra notre modèle de société dans la logique actuelle – cette logique qu’on lui a, nous humains, attribué et avec laquelle on l’a organisé – on ne fera que de l’ersatz, du semblant. On continuera de manier des rustines, mais on ne prendra pas le problème dans sa globalité. Il faut véritablement changer de paradigme, c’est-à-dire adopter une vision qui mette l’humain et la nature au cœur de nos préoccupations, non le profit.
Pourquoi ne vous engagez-vous pas plus dans la politique ?
Je fais de la politique, mais non politicienne. Je travaille à la prise de conscience, à ce que chacun comprenne que nous avons un pouvoir. C’est l’histoire du colibri. Il y a un potentiel qui permettrait de changer la société, mais il n’est pas en cohésion, il n’est pas orienté pour aller dans le même sens. Il faut mobiliser ce potentiel. Je fais de la résistance, donc je fais de la politique. Mais je n’ai pas besoin de strapontin politique.
Propos recueillis par Barnabé Binctin
Lire le premier volet de cet entretien : Pierre Rabhi : "l’écologie interroge notre regard sur la vie".


Source : Barnabé Binctin pour Reporterre.
Première mise en ligne le 2 mars 2013.

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