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dimanche 17 novembre 2013

Réflexions sur l'Ecotaxe

On a reçu ça :

Je t'envoie, pour le cas où un argument pourrait être jugé intéressant, et en tout état de cause pour lecture critique, copie d'une lettre en forme d'article (non sollicité) de réflexion sur l'écotaxe que j'ai envoyée par poste à la revue Nature et Progrès.

Amitiés.

JM

Jean Monestier                                                                           Le Soler, le 03.11.2013

19, avenue Jean Jaurès
66270 LE SOLER
04 68 92 89 49
06 83 99 03 25



à                                                           Revue NATURE & PROGRÈS
A l’attention de la Rédaction
13, Bld Louis BLANC
30100   ALÈS

Réf courrier : 13U03LTB

Objet : L’écotaxe.

       

Madame, Monsieur,

Je propose à votre lecture critique le texte ci-dessous qui porte sur l’écotaxe.

Renoncer complètement à l’écotaxe serait irresponsable. Car la hausse du prix des carburants est inéluctable, et les camions, pour lesquels ils sont détaxés, la subiront de plein fouet dans leur comptabilité, où ce poste représente déjà environ 30% des frais d’exploitation. Le baril de pétrole a vu son prix multiplié par cinq en une quinzaine d’années, puisqu’il est passé de 20 dollars en 2000 à 100 dollars aujourd’hui. Qu’en sera-t-il si ce prix est à nouveau multiplié par cinq ? Ceci doit être envisagé dès maintenant car la production mondiale tend à plafonner autour de 85 millions de barils par jour, et les pétroles non conventionnels, sables bitumineux, gisements off shore profonds, produits de liquéfaction du charbon, etc. exigent 10 fois plus d’investissement pour un baril/jour et polluent environ deux fois plus à l’utilisation, puisque le processus lui-même consomme souvent la moitié de la production. La montée en puissance de ces produits de substitution ne contribue pas du tout, au contraire, à faire diminuer nos émissions de carbone, dont le dernier rapport du GIEC (septembre 2013) confirme l’influence sur le bouleversement climatique en cours.
Par ailleurs, la Chine et l’Inde (2,5 milliards d’hommes) entrent en force sur ce marché. Lors d’un colloque sur le pic pétrolier qui s’est tenu à l’Assemblée Nationale le 25 janvier 2011 (et que j’ai intégralement filmé), Bernard Durand, retraité de l’industrie du pétrole, donc libéré du devoir de réserve, a expliqué devant une salle bondée mais n’abritant qu’une demi douzaine de parlementaires, comment un effet « ciseau » entre une offre qui stagne et une demande qui explose allait faire grimper le prix du baril à des niveaux inattendus. Pour éviter cela, cet expert pense qu’il faut que nos importations soient réduites d’un bon tiers en quinze ans, et de la moitié en 25 ans, sachant que les plus gros postes sont les carburants (65%) et les combustibles (22%). Il ne faut pas oublier que la Chine produit chaque année 20 millions de voitures, chiffre probablement déjà faux puisqu’il augmente de plusieurs millions d’une année à l’autre. Ce n’est pas pour les laisser au coin de la rue, et c’est incontestablement les pays occidentaux qui ont donné le mauvais exemple. Il faut donc au plus vite renverser la vapeur et revenir sur la politique routière suivie depuis les années 30.

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Dans ce contexte, l’écotaxe est issue d’un projet écologiquement et économiquement cohérent : rebasculer une part appréciable du transport de fret vers le mode ferroviaire, tout en induisant une baisse globale de la demande, par réorganisation de la production, ce qui ne se fera pas en un claquement de doigts. Je me souviens très bien quand, dans les années 60 ou 70, la part modale de la route est passée au-delà de 50%, devenant plus importante que celle du chemin de fer : ce fut dans les médias un moment de fête, puisqu’on allait vers le progrès et la liberté. Il est sûr que faire circuler 20 camions à la queue leu leu plutôt que 20 wagons derrière une locomotive est favorable à la croissance, à la libre entreprise et à l’emploi.
Pour l’emploi, rappelons que l’arrivée du frein à air comprimé sur les trains avait permis de supprimer tous les postes de serre-freins, ces hommes qui, tous les trois ou quatre wagons, restaient par tous les temps dans une petite guérite pour serrer les freins de leur propre wagon sur ordres donnés à coups de sifflet par le mécanicien de la locomotive. Employer un chauffeur par camion, c’est équivalent à recréer des postes de serre-freins, non sur un quart des véhicules, mais sur tous. C’est extrêmement intéressant pour occuper les millions de paysans chassés par l’exode rural, moins intelligent au niveau de l’utilisation de la ressource humaine.
Quant aux matières employées à la construction des véhicules, dont la durée de vie est au moins trois fois plus courte, et à l’énergie, dont la consommation, à masse et à vitesse égale, est multipliée par trois ou quatre en passant du roulement sur rail au roulement sur route, elles expliquent que le report sur route dope la croissance. Rappelons que le rail avait justement été inventé au 18ème siècle dans les mines anglaises pour économiser l’énergie des chevaux qui tiraient les berlines de charbon au jour. Mais le pétrole, qui nous apporte de l’énergie à gogo quasi gratuitement, comme le démontre fort bien Jean-Marc Jancovici, permet d’abandonner le rail, ce qui nous autorise à implanter n’importe quoi n’importe où, puisque le camion peut dans tous les cas assurer les entrées et sorties de marchandises.
Ceci est très favorable à la croissance, mais pas forcément à l’aménagement du territoire, qui était justement structuré assez finement par le réseau ferroviaire. C’est ainsi qu’on a soigneusement détruit, dans les années 30, 40, 50 et 60, les 20.000 kilomètres de chemins de fer départementaux, auxquels il faut ajouter à peu près autant de kilomètres des lignes locales des grandes compagnies. Ceci concerne justement le réseau breton, dont 272 kilomètres ont été fermés d’un seul coup le 10 avril 1967. Rappelons par ailleurs que, si l’usure des chaussée varie bien comme le cube de la masse, un camion de 10 tonnes (ou un autobus) use la chaussée comme 1000 voitures d’une tonne. Pour un camion de 40 tonnes, le coefficient serait alors de 40 x 40 x 40, soit 64000 voitures d’une tonne. Les diverses taxes payées par les poids lourds, certes plus importantes que celles des autos, sont loin d’atteindre ces proportions, et on peut donc avancer que l’infrastructure, actuellement, leur est offerte en pratique par les automobilistes et les contribuables. C’est ainsi que le quasi monopole routier pour le transport du fret devient la catastrophe énergétique et écologique dont nous commençons tout juste à évaluer les conséquences.
Revenir en arrière ne va pas être une petite affaire, comme le démontrent les avatars de l’écotaxe. Recréer un réseau ferroviaire significatif, au moins sur les axes à fort trafic routier, même en réutilisant parfois les anciennes plates-formes qui représentent beaucoup d’énergie grise cristallisée, va nécessiter de gros moyens. On peut en trouver une partie en cessant de financer des routes nouvelles, mais il faut bien continuer à entretenir le réseau routier actuel tant que les camions conservent leur prépondérance.
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Il faudra aussi revenir en arrière sur l’abandon du wagon isolé. Dans les années 50 et 60, la SNCF, aiguillonnée par les innombrables reproches sur son soi-disant déficit, se désintéresse des colis isolés, renvoyés vers le SERNAM, pour se concentrer sur les wagons « complets », gérés par milliers sur des gares de triage comme St Jory, Villeneuve St Georges, ou St Pierre des Corps. Mais le « déficit » est toujours là (alors qu’on ne calcule jamais celui du réseau routier) et la SNCF, après avoir fait fuir les clients en leur facturant probablement les allers et retours vers un triage lointain (certains ont parlé de hausse des tarifs de 70%), et loupé, avec les autres réseaux européens, le passage à l’attelage automatique, qui est présent sur tous les trains jouets et aurait augmenté la productivité et la sécurité des manœuvres, rejette aujourd’hui le wagon « complet », rebaptisé soudain wagon « isolé », pour se concentrer sur les trains « complets », beaucoup plus rentables.
Et les gares de triage, qui occupaient des dizaines d’hectares aux portes de villes, sont rétrocédées stupidement aux promoteurs immobiliers. Pourtant, on peut déjà pronostiquer que ces bons trains « complets », « déficit » aidant, deviendront de coûteux trains « isolés », bientôt abandonnés au bénéfice du sillon, unité dématérialisée, qui regroupe 365 trains, puisqu’il en passe un chaque jour de l’année par les mêmes voies aux mêmes heures.
Or chaque camion est en fait le plus souvent un wagon « isolé », et ce n’est que sur de très longues distances qu’on peut le regrouper avec d’autres pour former des trains plus ou moins « complets », que les communicants ont appelé des « autoroutes ferroviaires », terme qui évoque bien l’ampleur industrielle de ces organisations. Non seulement le train n’arrive pas dans la cour de la ferme, comme le revendiquait caricaturalement un manifestant à la radio, mais, en matière agroalimentaire, l’abandon du wagon « isolé » réserve le mode ferroviaire aux zones céréalières, où de très grands silos peuvent encore expédier quelques trains « complets » de façon saisonnière.
Quand j’étais étudiant, vers 1970, j’ai travaillé durant les vacances à l’expédition des poires. On chargeait 180 caisses réutilisables sur une camionnette, et trois cargaisons de camionnette sur un wagon prêt à partir pour Rungis et stationné en gare de Prades, à 40 km de Perpignan :
Trajet routier : disons 2 km x 2 (pour l’Aller et Retour) x 3, soit 12 km.
Trajet ferroviaire : environ 1000 km (multiplié par 2 pour le retour), soit 2000 km.
Aujourd’hui, il n’y a plus de fret sur cette ligne. Peut-être que des wagons partent de Perpignan, mais il y a d’abord des centaines de milliers de camions qui transitent directement vers Paris, et les soi-disant « autoroutes ferroviaires », bien qu’en plein développement, sont très loin d’absorber ne serait-ce que l’augmentation de ce trafic. Alors ne parlons même pas de gagner des parts de marché.
L’écotaxe, déjà instaurée dans de nombreux pays, et décrite comme un outil de transition énergétique par le Manifeste Négawatt (éditions ACTES SUD), doit certainement être aménagée sur les liaisons rurales. Elle pourrait y être réduite à un versement symbolique, voire supprimée, par exemple pour les camions qui collectent le lait, dont le remplacement par des wagons est difficile à imaginer. Elle pourrait aussi, pour encourager les choix vertueux, être supprimée pour les trajets qui aboutissent ou partent d’une gare, ne serait-ce que pour compenser les frais de la rupture de charge, fût-elle celle d’un container entier.

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De toute façon, elle ne peut être introduite sans un redéploiement substantiel du réseau ferroviaire local, avec une desserte en surface crédible, la possibilité de faire circuler des wagons isolés, l’acceptation de contraintes spécifiques, par exemple pour le transport d’animaux vivants, et un tarif attrayant  pour créer ainsi une sorte de « bonus-malus » en faveur du chemin de fer, et quelquefois de la voie d’eau. Mais ce « bonus-malus » là ne saurait viser à l’équilibre, comme celui qui a été appliqué aux ventes de voitures neuves, car une taxe qui aurait dû être indolore tant qu’il n’existe pas réellement d’alternative, et dont la recette se chiffre au mieux en centaines de millions, ne pourra pas financer rapidement les gros investissements en question, qui se mesurent en milliards d’€uros. Or il y a urgence.
Pourtant les Suisses, par exemple, ont su maintenir un réseau ferroviaire fin, tout en conservant un modèle économique viable. Ils savent même faire circuler des wagons à écartement européen sur leur important réseau à voie métrique. Notre principal handicap, c’est d’avoir détruit, sous prétexte d’une concurrence totalement faussée, entre deux tiers et les trois quarts du réseau dont nous disposions à la fin des années 20. Il ne s’agit pas d’en faire une reconstitution historique, mais de le recréer de façon cohérente, en commençant par les segments parallèles à un fort trafic routier.
Il ne faut pas oublier non plus le problème de la reconversion des dizaines de milliers de chauffeurs qui, comme autant de « serre-freins routiers », vont se retrouver sans emploi si le transfert sur rail est significatif. Problème qui s’ajoute à celui des ouvriers de l’automobile, dont la production ne peut que diminuer dans une optique semblable. Certains pourront travailler dans les énergies renouvelables, dont les besoins en main d’œuvre ont déjà été chiffrés en centaines de milliers d’emploi, d’autres dans le chemin de fer ou les réseaux de transports collectifs, d’autres peut-être dans l’agriculture biologique, qui peut aussi employer des milliers de paires de bras si on veut bien réorienter vers elle au moins une partie des aides qui soutiennent grassement, tout en faussant le jeu des prix, l’agriculture industrielle qui compromet de plus en plus notre santé.
Où en est ce plan de reclassement, qui est un corollaire logique de l’écotaxe ? Que proposent les « bonnets rouges » pour diminuer leurs émissions de carbone ? Que leur propose le gouvernement ? Il faudrait bien sortir de cette impasse tant que nous en avons encore les moyens.

En vous remerciant de m’avoir lu, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur,  l’expression de mes 
 Sincères Salutations Amicales et Militantes.


            Jean Monestier :
  Titulaire d’un diplôme en économie auprès de l’Université de Toulouse.
Membre de diverses associations intéressées aux problèmes des transports.
           Artiste-Auteur-Indépendant.




Texte disponible sous forme numérique.

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