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mercredi 13 novembre 2013

Les Dessous de l'Ecotaxe : "On s'est fait enfumer'


Ecotaxe: «On s’est fait enfumer»

06 NOVEMBRE 2013 | PAR JADE LINDGAARD


Fervents partisans de la taxation kilométrique des poids lourds, les écologistes n’ont ni su, ni pu alerter sur les dérives financières du contrat remporté par la société Ecomouv. Retour sur les discussions menées depuis le Grenelle de l'environnement.

L’affaire du contrat remporté par le consortium Ecomouv pour la mise en œuvre de l’écotaxe (voir ici notre enquête) place les écologistes, militants associatifs et les élus en situation délicate : depuis des années, ils militent pour l’instauration de cette taxation kilométrique des poids lourds au nom de ses vertus environnementales et sociales, en vue d'inciter à relocaliser l’économie. Mais ils n’ont à aucun moment alerté sur le coût exorbitant pour l’État – près de 20 % des recettes de la collecte – du contrat emporté par le consortium international dirigé par l’Italien Autostrade. Les protestations d’Eva Joly (« Il faut dénoncer ce contrat et il faut faire une enquête ») et du député EELV des Bouches-du-Rhône, François-Michel Lambert (« sur les possibles faits de corruption et les nombreuses irrégularités qui auraient eu lieu durant l'appel d'offres »), arrivent après la bataille.
Manifestation contre le ras la bol fiscal à Quimper le 2 novembre 2013 (©SA).

« On ne connaissait pas la dimension extravagante du sujet Ecomouv », se défend François-Michel Lambert, pour qui il faut désormais « purger cet abcès ». Manque de vigilance ? « Non, manque de moyens ! Nous sommes un groupe très minoritaire », proteste-t-il. Porte-parole de la fondation Nicolas Hulot (FNH), ONG qui fait de la fiscalité écologique une priorité, Mathieu Orphelin considère que « cette question n’est pas correcte : ce n’est pas aux ONG de vérifier les contrats signés par le gouvernement. C’est à des milliers de kilomètres de la réalité des faibles moyens des associations. Sur les sujets de fiscalité et d’énergie, la fondation ne dispose même pas de deux équivalents temps plein ».

Mais de son côté, Denis Baupin, aujourd’hui député EELV et vice-président de l’Assemblée nationale, reconnaît qu’« a posteriori, c’est sûr que si quelqu’un nous l’avait dit, on aurait fait différemment ».



Pourtant, le dernier vote parlementaire concernant l’écotaxe poids lourds n’est pas si lointain. En mai dernier, les députés adoptent une série de dispositions relatives aux infrastructures et services de transport. Parmi celles-ci, un article porte sur le mécanisme de report de la taxe des transporteurs vers les chargeurs. « Mais nous n’avons pas abordé le problème du contrat », se souvient un député socialiste de sensibilité écolo, favorable au principe de la taxe. « Les demandes de dérogation pleuvaient. Nous étions sur une bataille politique : on ne lâche rien. Nous ne nous sommes pas préoccupés de la dimension technique du dossier », ajoute Denis Baupin.



Auditionné par la commission du développement durable de l’Assemblée nationale en mars 2013, le ministre des Transports, Frédéric Cuvillier, explique que les recettes de la future taxe sont estimées à 1,2 milliard et les frais de gestion à 230 millions, pour l’équipement des portiques de contrôle, du système informatique et du réseau de distribution. « J’ai envisagé de demander une copie du contrat mais le temps a manqué, et je fais confiance à l’exécutif », raconte un élu PS de la commission.

En réalité, même si le contrat reste encore aujourd’hui confidentiel, une partie des informations le concernant étaient déjà publiques. « Le coût de la collecte tel qu’il ressort de l’offre la mieux classée est de l’ordre de 20 % des recettes », annonçait dès janvier 2011 un communiqué du ministère de l’écologie retrouvé par le monde.fr/. En mai 2011, une enquête du Point révèle des soupçons de corruption planant sur le marché de l’écotaxe. Le mois suivant, c’est Charlie Hebdo qui dénonce « l’impôt poids lourds dans les poches du privé ».

"On est en train de tuer l’écotaxe"

Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Borloo, le dernier jour du Grenelle de l'environnement, 25 octobre 2007 (Reuters).

« On s’est fait enfumer », se désole Michel Dubromel, spécialiste transports de France nature environnement (FNE) et surtout, négociateur sur la redevance poids lourds lors du Grenelle de l’environnement, fin 2007. Quand Ecomouv remporte le mirobolant contrat, début 2011, « on était très inquiets de voir arriver un prestataire qu’on ne connaissait pas, qui n’avait aucune expérience dans ce domaine, mais nous manquions d’éléments concrets pour attaquer », précise Dubromel. Surtout, « les services de l’État nous assuraient qu’il n’y avait pas d’autres possibilités que de faire un partenariat public-privé. Nous n’avions pas les compétences techniques pour remettre ce choix en cause ».

Dès 2006, FNE publie une étude sur le transport de marchandises (à lire ici), et propose de mettre en place une redevance kilométrique sur le fret routier, fondée sur le principe du pollueur-payeur, qui doit servir à « collecter des fonds, mais aussi permettre une prise de conscience des enjeux liés à nos habitudes de transport » (à lire ici).

En septembre 2007, le Grenelle de l’environnement inscrit à son programme la création « d’une éco-redevance kilométrique pour les poids lourds sur le réseau routier non concédé » (engagement n° 45). C’est la proposition défendue par FNE. Mais lorsque se forme le comité opérationnel dédié au fret, pour préparer les lois de programmation et de mise en œuvre des engagements du Grenelle, FNE est éjecté du processus. 


Manifestant sur un portique d'écotaxe (Reuters/Stéphane Mahé).
En 2009, les députés votent à l’unanimité la loi Grenelle de l’environnement I. Son article 11 crée une écotaxe « à raison du coût d'usage du réseau routier national métropolitain non concédé et des voies des collectivités territoriales susceptibles de subir un report de trafic ». Mais cet article ne mentionne ni PPP, ni les modalités de choix de l’opérateur, ni le nombre de kilomètres de réseau concerné. La loi de mise en œuvre du Grenelle, dite « Grenelle II », n’en dit pas davantage sur l’application de la taxe poids lourds.

Lors de l’ouverture du dialogue compétitif en vue de la conclusion du contrat de l’écotaxe, en 2010, FNE est consulté par la mission interministérielle sur la tarification routière (MITR). Mais l’association n’a accès qu’à la partie technique du dossier : la compatibilité avec les normes européennes, le tracé du réseau concerné. Et jamais au nerf de la guerre : le volet financier, et le contrat finalement emporté par Ecomouv. « Nous avons demandé le contrat à la MITR, qui nous a répondu que ce n’était pas possible », se souvient Michel Dubromel.

Bercy choisit le véhicule d’une taxe plutôt qu’une redevance. Le projet de taxe est reporté une première fois, puis une autre. « Vu le nombre d’obstacles qu’on rencontrait dans les ministères contre le projet d’écotaxe, notre priorité c’était de la mettre en œuvre », résume le représentant de FNE. Même imparfaite, et incomplète. « On y allait morceau par morceau. On s’est dit que c’était une première marche vers la fiscalité environnementale. On a voulu maintenir notre ligne politique. »

Piloté par Bercy, le dossier écotaxe est abandonné au ministère des transports lorsque Delphine Batho prend la succession de Nicole Bricq au ministère de l’écologie. « Une erreur », analyse aujourd’hui un ancien de son cabinet. Ses services perdent de vue la conduite du dossier. L’écotaxe poids lourds survivra-t-elle aux manifestations bretonnes et à sa suspension par Jean-Marc Ayrault ? Rien n’est moins sûr. « On est en train de tuer l’écotaxe », se désole un député socialiste. Au-delà du sort de cette redevance déjà appliquée en Allemagne, en Suisse, en Autriche, en République tchèque et en Slovaquie, la question de la viabilité du dialogue environnemental est posée.

À quoi servent les comités de suivi du Grenelle de l’environnement, et le Conseil national de la transition écologique aujourd’hui, s’ils ne sont ni saisis, ni informés et encore moins consultés sur la mise en œuvre des mesures qu’ils préconisent ? Malgré les promesses de conférence environnementale et de démocratie participative, les bons vieux réflexes de la Ve République s’éternisent : goût du secret, et collusion d’intérêts entre privé et public.

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