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jeudi 21 novembre 2013

"Bonnets Rouges : Les Nouveaux Poujadistes"

http://www.yves-paccalet.fr/2013/11/11/bonnets-rouges-les-nouveaux-poujadistes


Lu sur le blog d'Yves Paccalet


« Bonnets rouges » : les nouveaux poujadistes
par Yves Paccalet 11 novembre 2013


J’ai coiffé le bonnet rouge pendant des années. Avec fierté ! C’était le couvre-chef des équipiers de la Calypso. Nous courions les mers avec le commandant Cousteau, ses plongeurs et ses caméras. Nous montrions ensuite, à la télévision ou dans des livres, la splendeur des coraux, la majesté des baleines, la grâce des dauphins ou la perfection des requins. Nous savions que le bonnet rouge était la coiffe des révoltés bretons du XVIIe siècle, mais aussi le couvre-chef des bagnards de l’île de Ré ou celui des scaphandriers lourds – ces forçats du monde sous-marin…


J’étais heureux de lever mon bonnet rouge à la proue du bateau, des embruns plein la figure, en route pour l’Arctique ou l’Antarctique, le Brésil ou Bornéo… Mais voilà qu’en 2013, ce symbole de la beauté du monde et de l’écologie devient un signal de haine, l’emblème d’un déferlement social anti-écologique, irrationnel, violent, égoïste, destructeur et, pour tout dire : poujadiste.


Je rappelle aux juniors (j’étais moi-même bien jeune à l’époque…) que le mouvement poujadiste, ainsi baptisé par référence à son chef, Pierre Poujade, a commencé en 1954, avec la fondation de l’Union de défense des commerçants et artisans (UDCA). Non pas en Bretagne, mais dans le Lot (à Saint-Céré) : c’est une petite différence avec les « Bonnets rouges » actuels, incendiaires de portiques, camionneurs opposés à l’écotaxe comme à toute taxe, petits paysans excités par les profiteurs de l’agriculture industrielle, ou citoyens mal dans leur peau conviés à la bagarre contre « Paris et les Parigots » par quelques élus irresponsables…


Il y a environ soixante ans, le déclencheur de la « révolte » ou de la « colère » fut, comme aujourd’hui, une question fiscale : les petits commerçants et artisans étaient soupçonnés de cacher une partie de leurs revenus à l’Administration, non pas de Bercy mais de la rue de Rivoli (le siège du ministère des Finances, à l’époque).


Les « Bonnets rouges » de 2013 hurlent contre l’écotaxe comme les trublions poujadistes vitupéraient les impôts « insupportables », qui « prennent l’honnête citoyen à la gorge ». Les « Bonnets rouges » combattent l’Europe et la mondialisation comme les bataillons de Pierre Poujade en décousaient avec les premiers supermarchés. Les « Bonnets rouges » revendiquent à la fois, et sans la moindre logique, davantage de crédits venant de l’État, mais moins de taxes à payer pour le contribuable. Les poujadistes étaient hostiles au Traité de Rome : leurs clones bretons (ou d’ailleurs) veulent abolir Bruxelles – tout en réclamant de l’argent à Bruxelles, lorsque celle-ci supprime ses aides à l’agriculture. Les poujadistes avaient horreur des intellectuels : les « Bonnets rouges » ne les supportent pas davantage. Comme leurs prédécesseurs, ils en appellent au « bon sens des petites gens », qu’ils opposent aux « politicards profiteurs » ou aux « lobbies de la mondialisation ». Les poujadistes hurlaient, tapaient et cassaient pour se faire entendre. Les « Bonnets rouges » utilisent les mêmes arguments « musclés » : ils brûlent ou démontent les portiques de l’écotaxe, les radars fixes ou d’autres installations de la République – dont nous devrons payer le remplacement, nous, les citoyens ordinaires ; nous, les « Parigots » qui sommes pour la plupart provinciaux.


Les « Bonnets rouges » sont en colère. De nos jours, tout le monde est « en colère ». On chercherait en vain une catégorie socioprofessionnelle sereine ou simplement apaisée et tolérante envers le reste de la population… En 1956, en profitant de la vague de deux années de manifs, les poujadistes conquirent deux millions de voix aux législatives et eurent cinquante-deux députés (douze pour cent du total), réunis sous l’étiquette « Union et fraternité française »… Parmi ces élus figurait un certain Jean-Marie Le Pen, alors ardent partisan de l’Algérie française, et qui commençait son ascension. (Je me plais, au passage, à imaginer la « Françalgérie » d’un Le Pen vainqueur du général de Gaulle : notre pays compterait, à présent, cinquante pour cent de Maghrébins !)


Les couvre-chefs des « Bonnets rouges » bretons ne sont apparemment pas fabriqués en France, mais en Écosse. Bravo, les gars ! J’espère simplement que ces bouts de tricot ne deviendront pas les emblèmes d’un vote qui enverrait plus de cinquante députés du Front national à la prochaine Assemblée nationale. Je crains ce scénario, hélas trop vraisemblable ! Les populismes destructeurs et braillards, casseurs et égoïstes, finissent inexorablement en voix pour l’extrême droite. Le poujadisme était d’extrême droite. Les « Bonnets rouges » sont populistes, démagogiques, nationalistes, anti-européens, anti-cosmopolites ; bref, ils sont d’extrême droite, ils la servent sciemment ou ils se font manipuler par elle. Et, quoi qu’en dise Marine Le Pen, héritière méritante et rusée (ou mieux conseillée) du « patriotisme » de papa, le Front national se situe encore à la droite de cette extrême-droite-là.


Telle est la raison qui me pousse, en compagnie des baleines, des goélands et des souvenirs de mes missions sur la Calypso, à proclamer mon amour du bonnet rouge : celui du commandant Cousteau, de la paix, de la beauté du monde et de l’écologie. Celui de la nécessité de l’écotaxe, de la transition énergétique et du combat contre un chaos climatique potentiellement ravageur. Celui de l’agriculture biologique, plutôt que des usines à cochons, à poulets et à maïs qui polluent les rivières et couvrent les côtes bretonnes de tapis puants d’algues vertes. Celui des dauphins qui soufflent et gazouillent près de la pointe du Raz ou du cap Sizun, plutôt que celui des camions qui crachent leurs nuages de gaz carbonique, d’oxydes d’azote, de benzopyrènes et de particules fines sur la quatre voies, de Rennes à Brest et de Quimper à Lorient.

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