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mardi 9 juillet 2013

NDDL : C'est pas fini...

(http://www.mediapart.fr/article/offert/46797de3e78996a47dc00b5e3ff9f0cd)

Notre-Dame-des-Landes : et s’il fallait tout recommencer ?

Chargé de l’évaluation environnementale du site menacé par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le bureau d’études Biotope est soupçonné de détournement d’emplois jeunes. Le rapport initial sur les oiseaux et les reptiles, qui fait tant débat aujourd’hui, a été réalisé par un jeune sous-traitant employé par une agence de voyage de façade. Ces révélations mettent en doute la rigueur des études préalables au projet.
Mardi 18 juin, la société a été entendue par le tribunal des prud’hommes de Nantes, à la demande d’un ancien collaborateur, Bertrand Delprat qui réclame la requalification de son licenciement et la reconnaissance du lien de travail entre lui et le bureau d’études pour la période de 2000 à 2007. Le jugement est attendu le 10 septembre.
© Forêt sur la zone du projet d'aéroport, avril 2013 (JL).

Derrière ce conflit du travail, se cache une histoire peu banale. Pendant sept années, le jeune ornithologue affirme avoir travaillé pour l’agence Loire-Bretagne de Biotope, à Bouguenais, près de Nantes, où il disposait d’un bureau et d’un numéro de téléphone, ainsi que d’’une adresse email professionnelle, tout en étant salarié de l’association Voyage inter associations (VIAS). Grâce à ce statut d’employé associatif, il bénéficiait d’un emploi jeune, pris en charge par l’Etat à hauteur de 80% du Smic. Soit, concernant Bertrand Delprat, sur un peu plus de sept années, une aide totale d’environ 91 000 euros. Or il était strictement interdit aux entreprises de recourir à des emplois jeunes.
Couverture du rapport de Biotope sur l'état initial du site, en 2006.Couverture du rapport de Biotope sur l'état initial du site, en 2006.
Si ce litige sort aujourd’hui de l’anonymat c’est parce que Biotope est l’un des principaux bureaux d’études impliqués dans le développement du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Depuis 2003, ses collaborateurs ont rédigé une grande partie des évaluations environnementales du site menacé par le projet. En ce début d’été 2013, il vient de proposer à AGO, la filiale du groupe Vinci concessionnaire de l’aérogare, une nouvelle façon de compenser les dommages environnementaux du chantier à venir –la précédente méthodologie a été invalidée par les experts scientifiques sollicités par l’Etat, voir nos articles ici et là à ce sujet.
Or c’est Bertrand Delprat qui était responsable pour Biotope du rapport sur l’état initial du site, en 2006, pour sa partie consacrée aux oiseaux et aux reptiles. Son nom figure dans la liste des spécialistes qui signent le rapport commandé par la direction départementale de l’équipement (DDE) de Loire Atlantique, en vue de la déclaration d’utilité publique du projet. Loin d’être une simple petite main sur le terrain, Bertrand Delprat est désigné comme « expert faune » habilité à encadrer les personnes établissant l’inventaire de la faune et de la flore, dans une lettre de mission de la DDE du 6 juin 2005. Il effectue alors deux semaines de prospection sur le terrain, et réalise près de 80 heures d’écoutes d’oiseaux. 
Lettre de mission de la DDE, 6 juin 2005. Lettre de mission de la DDE, 6 juin 2005.

"Vous imaginez dire 


à l'acheteur public..."


Naturalistes étudiant la flore de la zone de l'aéroport, avril 2013 (JL).Naturalistes étudiant la flore de la zone de l'aéroport, avril 2013 (JL).
Ce document est très important car il sert de base au dossier de dérogation sur les espèces protégées, aujourd’hui au cœur du conflit entre la préfecture de Loire-Atlantique et les opposants à l’aéroport. L’état initial permet en effet de définir l’impact d’un projet sur les animaux et la végétation, et quelle protection leur apporter. « Cette étude a pour vocation la constitution de l’expertise de référence, dans le domaine du patrimoine naturel (faune, flore et milieux naturels) pour le projet d’aéroport du grand ouest Notre-Dame-des-Landes, écrivent alors les services de l’Etat, Son importance est toute particulière dans le cadre du présent projet, compte tenu des caractéristiques de ce dernier et de son ampleur dans l’espace et dans le temps ».
Extrait de l'étude environnementale pour la DUP du projet d'aéroport, 2006.Extrait de l'étude environnementale pour la DUP du projet d'aéroport, 2006.


Pour Bertrand Delprat, qui est aujourd’hui à la tête d’un bureau d’études : « On a confié un dossier aussi complexe et aussi sensible à un emploi jeune dans une agence de voyages ! ». Ses bulletins de paie de l’époque attestent de son rattachement à la convention collective des agences de voyage. L’objet officiel de l’association VIAS était en effet l’organisation de voyages d’études de la nature, et la réalisation d’études. Sa présidente, Anne-Lise Ughetto, est par ailleurs directrice adjointe de la société Biotope, et l’épouse du directeur général du bureau d’études, Frédéric Melki. Le siège des deux structures se trouvaient dans le même bâtiment (mais avec deux adresses différentes), à Mèze dans l’Hérault.
Le pluvier doré (Wikicommons).Le pluvier doré (Wikicommons).
Dans son rapport d’avril dernier sur l’incidence du projet d’aéroport sur la zone humide (voir ici), le collège d’experts scientifiques mandaté par l’Etat pointe l’insuffisance du rapport de 2006 sur l’état initial et sa « caractérisation initiale insuffisante de la biodiversité ». En particulier, il regrette que l’importance des oiseaux, des chauve-souris et des reptiles présents sur la zone ait été sous estimée.
Cette analyse est partagée par le conseil national de la protection de la nature (CNPN) qui s’inquiète du sort du pluvier doré, un oiseau migrateur, et demande de nouveaux inventaires (voir ici). La préfecture doit publier des arrêtés de dérogation à la protection d’espèces protégées pour que puissent démarrer les travaux de l’aérogare et de sa desserte routière.
Pour Bertrand Delprat, le montage des emplois jeunes « ne signifie pas que le travail a été mal fait, mais crée une suspicion certaine sur la rigueur et l’honnêteté du travail mené dans le cadre de la réalisation des dossiers réglementaires liés au projet d’aéroport ». Pour autant, il ne pense pas avoir bâclé sa tâche, ne se souvient pas avoir manqué de temps. Pour l’état initial, quatre autres personnes de Biotope ont collaboré au rapport sur d’autres sujets (habitat, flore, amphibiens…).
L’association VIAS a été dissoute fin 2007, après le licenciement de Bertrand Delprat, et alors que s’éteignait le dispositif des emplois jeunes. Son ancienne présidente, Anne-Lise Ughetto, répond par écrit : « aucun des éléments produits par Delprat ne vient apporter la preuve irréfutable de la véracité de ses affirmations » et que « le litige pendant devant le conseil des prud’hommes de Nantes ressort comme un moyen de justifier un comportement déloyal en matière de concurrence » entre leurs deux entreprises.
Son époux, dirigeant de Biotope, Frédéric Melki, ajoute : « Biotope a fait appel occasionnellement à VIAS comme sous-traitant et Bertrand a peut-être réalisé une petite mission ornithologique pour Notre-Dame-des-Landes dans le cadre d’une sous-traitance (quelques journées de sous-traitance en 7 ans !) ».
Sauf que le recours à la sous-traitance est très encadré dans le cadre de contrats publics. Il doit être déclaré et accepté par l’organisme public à l’origine de l’offre, en l’occurrence la DDE. Or selon les documents présentés par la défense de Bertrand Delprat devant les prud’hommes, Biotope n’a jamais sollicité l’accord de l’Etat à ce sujet. « Mais c’est logique, l’objet de VIAS est de faire des voyages : vous imaginez dire à l’acheteur public que tout ce qui été fait dans le cadre de ce marché public l’est par une association qui fait des voyages ? » a affirmé Franck-Olivier Ardouin, l’avocat de Bertrand Delprat devant les juges. Pour lui : « Notre-Dame-des-Landes a été étudié avec un sous-traitant non homologué par la commande publique ». De son côté, Frédéric Melki assure que « tout est extrêmement carré du point de vue contractuel sur ces sujets » et que cette affaire est « très simple juridiquement mais très chargée d’affect ».

"Un peu sur la brèche"


Plaquette de présentation de Biotope.Plaquette de présentation de Biotope.
VIAS n’est pas la seule association liée à Biotope à être intervenue sur le dossier de Notre-Dame-des-Landes. Il y avait aussi l’Association pour la connaissance et l’étude du monde animal et végétal (Acemav). En 2002, elle a réalisé une mission d’expertise écologique sur le site du projet d’aéroport (à lire ici).
Cette association, elle aussi dissoute aujourd’hui, employait, elle aussi, des emplois jeunes. L’un d’entre eux, qui a également planché sur la zone du projet d’aéroport, joint par Mediapart, raconte qu’il apparaissait « comme Biotope dans les rapports », et que pour justifier ce montage, la direction expliquait « qu’on était en concurrence avec des organismes non assujettis à la TVA, comme les associations, et que c’était une forme de rééquilibrage ». Il se souvient d’une société « un peu sur la brèche pour la trésorerie ».
Sollicité par Mediapart, Thomas Menut, ancien dirigeant de l’Acemav, également fondateur et associé de Biotope s’emporte au téléphone : « Si vous croyez que je vais tout étaler et tout vider mon sac… je n’ai pas d’explications à vous donner, et je ne suis pas certain que ce soit votre rôle d’étaler tout ça. Si vous voulez jouer les détectives, j’ai le droit ne pas vous répondre ».
Selon l’avocat de Bertrand Delprat, une dizaine de personnes ont « travaillé ouvertement comme Biotope pour Biotope » tout en étant officiellement employées par une ou l’autre de ces associations.
Ces révélations mettent en doute la rigueur des études préalables au transfert de l’aéroport. L’état initial du site a-t-il été réalisé en infraction avec la loi ? Si oui, peut-il encore être considéré comme valide, et comment vont réagir les pouvoirs publics ? La question est de nature juridique mais pas seulement : c’est aussi un enjeu de confiance entre les parties dans un dossier aussi conflictuel et aussi contesté. Difficile d’accepter qu’un contrat de concession d’environ 500 millions d’euros, signé pour 55 ans, se fonde sur une expertise élaborée dans des conditions douteuses.
Extrait de Presse Océan, 8 juin 2013.Extrait de Presse Océan, 8 juin 2013.

Malgré la volonté des autorités locales de faire avancer le projet, et alors que le préfet de Loire-Atlantique souhaite débuter les travaux cet automne (voir ci-dessus son interview à Presse Océan), le dossier technique de Notre-Dame-des-Landes se fragilise depuis 18 mois : refus de la méthode de compensation environnementale par les experts, erreur de calcul dans la déclaration d’utilité publique découverte par le cabinet CE Delft (voir ici)surestimation des créations d’emplois attendues (voir ici), et mise en cause aujourd’hui de la validité de l’état initial du site.
Les petits arrangements de Biotope avec les emplois jeunes sont d’autant plus piquants que son patron, Frédéric Melki, a participé au mouvement des «pigeons», ces chefs d’entreprises ulcérés par le projet de taxer plus les plus-values de cession, l’automne dernier. « Je n’ai pas participé aux pigeons, je suis totalement indépendant, je ne participe à aucun mouvement », affirme-t-il aujourd’hui, reconnaissant tout de même « j’ai pensé qu’ils avaient raison ».
Il l’a pensé si fort qu’il s’est retrouvé interviewé par le 20 heures de France 2 le 4 octobre, dans un reportage consacré à « ces créateurs d’entreprises qui ont réussi à se faire entendre », comme les présente David Pujadas. « Des patrons en colère qui se sentent mal traités, mal aimés aujourd’hui en France, c’est le cas de Frédéric Melki », explique le reporter de France Télévision. On découvre alors à l’image le directeur général de Biotope, debout à côté d’une plante verte.
Dans Challenge, 30 avril 2013.Dans Challenge, 30 avril 2013.

Dans le magazine Challenge, quelques mois plus tard, il récidive pour dénoncer les pesanteurs administratives sur les entreprises. Un ancien dirigeant de la société se souvient que l’expression maison pour parler de gestion du personnel était « GML », pour « grand méchant loup ». Et qu’un leitmotiv récurrent de fin de réunions était « TBE », pour « ton blé enculé ! ».
C’est à partir de la fin des années 1980 que les premiers bureaux d’études en évaluation environnementale se sont créés en France -Biotope apparaît en 1993. La filière de l’expertise écologique est encore relativement jeune, peu régulée et pas contrôlée. Au-delà du cas de ce bureau d’études, l’un des acteurs importants avec près de 250 salariés, c’est tout un secteur qui évolue aujourd’hui dans une zone d’ombre. Car comme pour l’audit des comptes des entreprises, les bureaux d’études environnementaux sont payés par les sociétés ou les collectivités publiques dont elles évaluent les projets. Personne ne peut exclure qu’éclate un jour un scandale Enron de l’environnement.
Les personnes citées dans cet article ont été interrogées par téléphone, par email ou lors de rencontres entre le 28 mai et le 21 juin. J'ai respecté l'anonymat des témoins qui l'ont demandé.

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