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mercredi 2 janvier 2013

NDDL : Reportage Hervé Kempf

http://www.reporterre.net/spip.php?article3671


Ecologie

De retour à Notre Dame des Landes



Hervé Kempf (Reporterre) - 1er janvier 2013


- Reportage, Notre Dame des Landes (Loire-Atlantique)
Jeudi 27 décembre
Me voici donc, sac à dos, au sortir de la gare de Nantes. Il pleut doucement. A l’arrêt du tramway, un jeune homme cheveux longs boit une bière en prenant son temps, l’agenda de l’après-midi ne semble pas trop chargé. Il indique le chemin, observe qu’avant, la place du Commerce s’appelait place de la Bourse, donne du papier à cigarettes à un passant qui lui demande, indique qu’il a beaucoup plu les derniers jours – mais voilà le tram qui arrive.
Après changement au Commerce, ex Bourse, je me dirige vers le terminal d’Orvault, observant un avion qui passe au-dessus de la ville, un coin de ciel bleu entre les nuages, les passagers tête penchée, presque tous absorbés par leur écran de téléphone. Des panneaux dans la ville annoncent« Happy green year », ce qui signale aux voyageurs anglophones qu’en leur souhaitant une heureuse et verte année, la ville de Nantes a reçu un label de ville verte par la Commission européenne, apparemment ignorante de l’affaire de l’aéroport de Notre Dame des Landes.
A Orvault, je retrouve Elisabeth, qui est gentiment venue me chercher depuis la Zone, située à quinze kilomètres au nord. Elisabeth et Paul vivent aux Fosses noires depuis 1989. Leur maison est expulsable, et ils sont parmi les opposants les plus farouches au projet d’aéroport. Elle est sage-femme, il est régisseur de théâtre, après avoir été paysan, précisément dans cette ferme et ses dix hectares de terre. Au moment de l’invasion policière du 16 octobre, ils ont accueilli dans leur grange et leur hangar des zadistes expulsés des maisons. Depuis trois mois, les Fosses noires sont ainsi devenues un des refuges en dur de quelques zadistes permanents et de nombreux zadistes de passage, dortoir, cuisine, salle de séjour, connexion internet et diverses commodités ayant été progressivement aménagés. Le propre logement de Paul, Elisabeth et leur fils Matéo, jouxte les lieux communs où jusqu’à trente personnes vivent.
C’est avec patience et placidité que les hôtes supportent cette transformation de leur vie, ne manifestant que parfois de l’agacement quand un zadiste abuse de leur générosité. Ils expliquent aussi, par exemple, qu’il faut déboucher les fossés, pour faire écouler l’eau, faute de quoi on aura des problèmes d’hygiène – voilà déjà que la jument a des poux…
D’ailleurs, dit Paul, « on était les zadistes d’avant les zadeux » : ils se rangeaient parmi les habitants critiques de l’Acipa, dont ils jugeaient la politique trop consensuelle, trop juridique, trop accommodante avec les autorités et les élus. Vers 2008, ils avaient créé avec une dizaine d’autres l’association Les habitants qui résistent, et ont sans doute été les premiers à soutenir ce qui semble être le premier groupe de zadistes, qui s’est installé vers 2007 au Rosier. « Ils étaient tout étonnés qu’on les aide ». Depuis, d’ailleurs, l’un de ces pionniers, F. , a quitté la zone et s’est installé comme paysan dans le Morbihan avec sa compagne, ils ont deux enfants.
Paul et Elisabeth, lors du repas, m’expliquent qu’en 2011, l’Acipa était « au fond du trou ». Les opposants historiques ont compris qu’ils avaient besoin des zadistes le jour où un huissier est venu avec une équipe pour réaliser des forages pour la tour de contrôle de l’aéroport. « Soudain cinquante gueux sont apparus » et les foreurs ont dû décamper. Ils sont revenus en juin 2011 avec la maréchaussée et des gaz lacrymogènes, mais déjà, il était clair que les autorités ne maîtrisaient plus tout à fait le terrain, et que des nouveaux occupants allaient leur donner un fil à retordre inattendu.
Réciproquement, les zadistes n’auraient pu s’installer vraiment au Sabot et créer un grand jardin maraîcher si plus de mille personnes et un tracteur n’étaient venus les soutenir en mai 2011, désherber et retourner le champ.
Pendant la discussion, deux jeunes filles viennent demander la tronçonneuse pour couter un arbre qui menace de s’abattre sur le toit d’une cabane.
L’heure tourne. Alexandre, le fils d’un ami de Paul et Elisabeth, et Zoum, venu d’Aix en Provence, me proposent une visite des lieux alentours. Je m’équipe des bottes indispensables sur la zone. Car on marche sans arrêt dans la boue des champs détrempés et des chemins défoncés par les centaines de personnes qui les parcourent depuis des semaines. Alex et Zoum sont arrivés depuis quelques jours à la Zad, et vivent dans le dortoir collectif des Fosses noires. On emprunte des vélos. L’atelier de vélos a bien travaillé, plusieurs dizaines sont disponibles. On les prend à un endroit, on les dépose à un autre, on reprendra ce qu’on trouvera – un système Velib sans borne ni carte. L’entretien se fait… par la magie de l’esprit collectif et le talent de ceux de l’atelier vélo, puisque chacun s’invente ici les tâches en fonction des besoins qu’il observe.


Carte de Global Mag

On tourne à gauche, vers la D 281, qui relie le nord au Paquelais, et qui est parsemée de deux ou trois chicanes, dont on reparlera bientôt. Elles ont un aspect piteux, abandonné, mais obligent les voitures à ralentir. Nous nous arrêtons à l’entrée d’un chemin et passons une haie pour entrer dans un champ en direction de Far West. Ah, quelqu’une arrive, il faut porter des tuyaux de poêle, eh oui, des tuyaux de poêle, à la maison, on file un coup de main ? Et nous voilà à traverser le vaste champ, floc floc, tiens, ma botte est trouée, en devisant sous le ciel gris. On a de la chance, il ne pleut pas.
Zoum est là depuis quelques jours. Il a vingt-huit ans, un visage mince et mat, des cheveux longs et une moustache fine, une vraie face de boucanier. Sa mère est professeur de sport, son père travaille dans un Centre d’action sociale, ils sont à droite, nourris de télévision quotidienne, et un de leur meilleurs amis est un gendarme qui se réjouit de blagues racistes et sexistes. Zoum s’est émancipé de cet univers mental depuis quelques années, et s’occupe à Aix d’une Amap, d’une épicerie collective, d’un projet de jardin communautaire. Il s’agit de préparer l’autonomie pour quand le système craquera. Il vient ici avec l’intention de préparer l’arrivée des marcheurs partis de Nice il y a quelques semaines – ils ont fait une étape à Aix - et qui doivent arriver sur la Zone le 9 février.
Il parle avec enthousiasme et dans un certain désordre de tout et d’utopies, avec une bizarre fixation sur les gendarmes. Il paraît qu’il y a sur la zone des groupes de sympathisation avec les gendarmes – qui maintiennent un poste de contrôle très gênant au carrefour du chemin de Suez et de la route des Domaines, dit carrefour des Saulces -, et Zoum pense qu’il faut parler à ceux-ci afin de « trouver l’humanité en eux » et« déconstruire leurs convictions ». Il dit que les gendarmes sont mieux « construits » que des zadistes qui gardent des barricades et avec qui il a discuté pendant des heures. C’est bizarre, mais ce n’est sans doute pas faux : les gendarmes sont bien installés dans la vie, ils ont leur foyer, leur salaire, et des convictions bien enracinées, étayées par le sentiment de défendre l’ordre de la société. On commence à parler de la violence, de la désumanisation, et… mais voici Far West.
C’est une cabane bien construite. A vrai dire, le terme de cabane – employé à propos des constructions sur la zone - est trompeur. A quel moment une cabane devient-elle une maison ? Car ce cube de bois, monté sur pilotis, doté d’un auvent et de fenêtres, paraît bien charpenté et intelligemment construit. Tout autour, c’est la boue. Casseroles et vaisselle sont suspendues à un faisceau de branches, plus loin, un type alimente un brasier, sous l’auvent un groupe discute pendant que l’un joue de la guitare. On pose les tuyaux de poêle, et la jeune fille au regard clair et à la tignasse ébourriffée nous raconte qu’on s’amuse bien au Far West, ils ont fait récemment une bataille de mottes de boue qui valait son pesant de cacahouètes. Il vaut mieux rester de bonne humeur, car les conditions de vie ne sont pas confortables, d’autant plus que si l’eau qui tombe du ciel ne manque pas, il n’y pas de puits à proximité et il faut aller en chercher avec des bidons depuis la route.
On continue avec Zoum sur un chemin qui s’engage dans la forêt éparse, apercevant sur l’étang des Nouées la cabane flottante installée il y a quelques semaines. Plus loin, c’est Le Port, une autre cabamaison en bois. Même disposition : cuisine à l’extérieur, dortoir et repos l’intérieur. Un gars travaille à renforcer le bardage d’une paroi. « Salut – Salut. » Pas trop causant. Il nous invite à entrer, si on veut. Ce n’est très grand, mais assez confortable et chaleureux. Un gus lit une bande dessinée littéraire sur l’espace de canapé qui longe un mur, au milieu il y a un pilier et une table, il fait bon et chaud, il y a quelques livres, le couchage est en haut. On se salue, M . se présente, Zoum propose un verre – il a une bouteille dans son sac –, mais on trouve qu’il est un peu tôt. La conversation ne s’engage pas vraiment, et l’on repart, en saluant le travailleur, qu’a rejoint un autre en blouson et capuche qui tourne ostensiblement la tête pour qu’on ne voit pas son visage.
Plus loin, entre les arbres, une bâche est posée sur une esquisse de charpente – chantier en cours, il n’y a personne. On repasse par le Far West puis vers la route, en discutant de l’autorité, de l’absence de leader, de la démocratie, d’humanisation. Zoum me parle du livre d’Hakim Bey sur les utopies pirates (Taz, zone autonome temporaire) et d’une brochure de Simon, « Rupture. Replacer l’émancipation dans une perspective sécessionnistes », deux textes qui l’ont beaucoup inspiré.
On retrouve les vélos à la chicane où se trouve un petit abri. Alex est là, on recommence à discuter de la droite et de la gauche, pas de différence, les politiciens appliquent les directives données par les banquiers et autres milliardaires. Voilà un type en cape et casquette qui arrive, il est anglais, nous propose en riant une gorgée de rhum, c’est bon, il repart vers Far West. Et nous, on reprend les vélos vers les Fosses Noires.
Dans la salle commune, il y a une dizaine de personnes autour de la table. C’est calme, ça discute, peut-être que notre arrivée jette un froid, je ne suis pas identifié. Les conversations sont éparses, les gens se lèvent, partent, d’autres arrivent. La cuisine est dans un coin, le dortoir en haut, il y a des ordinateurs sur la mezzanine, pour internet. Tous les âges sont là, comme Marie, une habitante du coin qu’on a vu sur les vidéos qui ont circulé sur internet, houspillant les gendarmes qui ont mené l’agression contre la zone en octobre. Un type d’une soixantaine d’années arrive, béret et parka de chasseur, une patte traînante, il parle fort d’un problème de construction à la Sécherie, une maison en chantier non loin de là. Deux couples de la Drôme et du Puy-de-Dôme arrivent, se reconnaissent, ils commencent à parler des comités de soutien, d’une manifestation qui a eu lieu à Clermont-Ferrand quand Ayrault est venu. La fille de Clermont voudrait monter une cabane sur la zone, pour accueillir les visiteurs du comité de soutien qui viendront ici.
Un repas se prépare, on coupe l’ail, l’eau chauffe. Pâtes, lentilles et carottes. Quand c’est prêt, chacun prend une assiette dans le buffet où des inscriptions au feutre indiquent l’emplacement des assiettes, couverts, verres. On se sert, il y en a pour tout le monde, on mange assis ou debout, ou assis sur l’escalier. Et pour la vaisselle, itou, ca se fait avec fluidité et sans discours, dans l’évier aux deux bacs.
A côté, dans le hangar à matériel, je rejoins Alex, Zoum et un jeune, P ., adolescent. On parle de la manifestation à Chefresne, en juin, qui a été violemment réprimée : un activiste a perdu un œil, une autre a été sévèrement blessée de nombreux éclats de grenades (voir article sur Reporterre). Plusieurs avaient la volonté d’en découdre, raconte P., qui y était. Ils étaient équipés de lances, de boules de pétanque, de cocktail Molotov. Mais ce n’était pas clairement dit aux autres manifestants, venus dans un esprit pacifique. Et le terrain était si mal choisi (la progression sur une petite route montante) que la police a eu beau jeu de réprimer les manifestants. Elle a cependant agi avec une violence stupéfiante.
Mais l’heure tourne, et c’est le moment d’aller à l’assemblée générale, qui a lieu à La Vache Rit. J’y vais avec « Bob », qui vit dans une caravane aux Fosses noires. Bob a trente-quatre ans, elle est sur la zone depuis la mi-2011, et ça a été une activité incessante. Elle a décroché dix jours début novembre, pour prendre des « vacances », - mais restant ici -, à se retrouver, ranger ses affaires, parler avec les amis… On discute, mais une voiture arrive, on fait du stop, ils ont de la place, on va à La Vacherie tranquillement.
Le hangar est plein de gens, pas loin de trois cent personnes, se répartissant entre opposants historiques et zadistes – on les distingue assez bien, par les vêtements, surtout, mais aussi par l’âge. Heureusement, la distinction n’est pas aussi tranchée, d’autant qu’il y a des gens venus d’ailleurs, de la Sarthe ou du Béarn, par exemple, et que s’il y avait avant la manifestation du 17 novembre environ 150 zadistes permanents, il y en aurait maintenant près de 500, venant et repartant, si bien que comme le dira quelqu’un dans la soirée,« Des fois, on n’y comprend rien, c’est le bordel ».
On finit d’installer les chaises, il n’y en aura pas pour tout le monde, un espace est laissé vide au centre, et sur le premier cercle, se trouve d’un côté Dominique Fresneau, co-président de l’Acipa, et de l’autre, A., que l’on va appeler « Camille », dont il ne faudrait surtout pas dire qu’il est une sorte de leader dans ce mouvement sans leader qu’est le zadisme. Il va jouer le rôle de « facilitateur ». On désigne aussi deux répartiteurs de parole, un zadiste, veste de laine colorée et toque ornée de plumes d’oiseaux, et un historique, frère de Dominique Fresneau, habillé comme… tout le monde…
La discussion s’engage, lancée par Fresneau et par Camille, qui va assez régulièrement resynthétiser la discussion. La parole circule bien, le répartiteur à plume d’oiseau ne s’en sort pas mal. S’il y a pas mal de tension dans l’air, tout le monde joue le jeu, parle quand il est désigné et écoute les autres. Des chiens passent de temps à autre dans le cercle, on voit même un chat, il arrive que quelqu’un vienne y parler pour mieux se faire entendre.
On parle d’abord de la question des tracteurs disposés autour de la Chataigneraie. Dominique Guitton, un paysan du COPAIN (Collectif des organisations professionnelles agricoles indignées par le projet d’aéroport explique qu’ils ne resteront que jusqu’au 10 janvier, parce qu’on en a besoin dans les fermes. « Les paysans sont très motivés, c’est pas mince ce qu’on a fait depuis deux mois », dit Guitton. Il assure qu’en cas d’intervention policière, les paysans se sont organisés pour revenir très rapidement avec les tracteurs pour défendre la Zad. Eric Petetin, venu de la vallée d’Aspe, prend la parole pour déclarer la Zad « zone d’amour décalé », saluer le« mouvement révolutionnaire fabuleux » et dire qu’on « fait ici la révolution tous ensemble ». Applaudissements. On passe à un sujet qui paraît biscornu mais qui va focaliser la discussion pendant près de deux heures : les chicanes sur la D 281.
Geneviève Coiffard pose le débat : « Il faut prendre acte que la situation a évolué [depuis la Commission de dialogue]. On n’est plus sous la même pression répressive. Enlever les chicanes serait important pour l’opinion publique, et enlèverait sa raison d’être à la présence policière ». S’ensuit une longue série de prises de parole : les chicanes ne sont pas si gênantes que ça, elles obligent à ralentir les véhicules, au contraire elles favorisent les accidents parce qu’on les voit mal la nuit, on pourrait les enlever puis les remettre trois jours après si les gendarmes ne sont pas partis, etc. En fait, résume un barbu en parka noire, « on discute du terrain, mais l’essentiel est l’opinion publique, qui a basculé en notre faveur le 17 novembre, parce que la manifestation était non-violente autour d’une revendication très humaine. La chicane projette une image de violence. L’enjeu n’est pas que les flics s’en aillent, mais que l’opinion publique reste avec nous. Les flics vont rester, et ce seront eux qui empêchent les gens de passer, pas les opposants ».
La discussion continue sans vraiment avancer, les historiques poussant à enlever les chicanes, les zadistes à les garder. On commence à avoir froid aux pieds, le hangar est ouvert. « Camille » tente une synthèse : « Proposition : on ferait une manifestation où on enlèverait ensemble les chicanes et on irait jusqu’aux Saulces où il y a les bleus [les gendarmes]. Est-ce que ça parle un peu, comme proposition ? ». Une zadiste parle d’un groupe d’action directe non violente qui se réunit à la Chataigneraie, « on ferait des ‘Un deux trois soleil’ devant les flics », un autre répète qu’il ne veut pas enlever les chicanes, un autre qu’il n’y a pas de lien entre les chicanes et la présence des gendarmes.
A un moment le ton monte, « tu peux fermer ta gueule, quand je parle ! ». Tiens, Zoum, « Vous êtes tous extraordinaires, j’ai le cœur qui palpite, ne changez rien, vous êtes très bien ». Le frère de Dominique Fresneau rappelle qu’il faudrait avoir fini avant minuit, pour dégager les voitures afin de permettre au camion de lait de passer – eh oui, il y a toujours le ramassage du lait sur les exploitations. On lance un vote sur trois ou quatre propositions, on ne sait plus très bien où on en est, « Camille » conclut en disant qu’on fera une réunion mercredi suivant sur les chicanes… D’ici là, elles restent en place.
On parle ensuite de la manifestation de samedi à Nantes pour soutenir les opposants emprisonnés. Et puis du FestiZad, qui doit avoir lieu les 5 et 6 janvier, et qui a de bonnes chances de tourner à la mégateuf, genre rave ou technofête. Est-on prêts à accueillir près de cent mille jeunes ?, s’inquiètent les uns.« La machine est lancée, la bête a la dalle, répond un zadiste de la Sécherie, qui a un langage fleuri. Il y a des gens qui ont pris leurs couilles avec leurs mains et qui l’ont lancée, il va falloir assumer et se démerder ». Estelle, cheveux gris, visage jeune, s’avance et calme le jeu : « Moi j’ai envie d’y être, il y a de belles têtes d’affiche, et puis ceux qui viennent, ils savent faire les fêtes, ça brasse du monde, il y a beaucoup d’énergie, ce soir c’est la pleine lune, ca va se faire, en restant positif ». Allez, va pour le FestiZad.
Bon, la réoccupation en avril, construire des bâtiments agricoles et ré-ensemencer les champs. Guitton remarque :« en avril, faire des semis à Notre Dame des Landes, c’est pas gagné… » On verra ce qui se passe.
Place à la discussion sur la commission de dialogue lancée le 25 novembre par le gouvernement. Une représentante du Cedépa (Collectif d’élus doutant de la pertinence de l’aéroport de Notre Dame des Landes) explique que le collectif a accepté de rencontrer cette commission, en y mettant comme condition que les forces de l’ordre ne devaient pas envahir la zone durant son mandat. Attention, intervient quelqu’un, si d’autres discutent avec eux, cela va fragiliser la lutte.
Dominique Fresneau rappelle que l’Acipa ne compte pas rencontrer cette commission, « les conditions ne sont pas réunies pour qu’on y aille »« Ces gens-là, c’est juste du foutage de gueule », dit quelqu’un. Un autre prend du champ :« La coordination réunit quarante organisations. Une chose est sûre : on ne veut pas de l’aéroport. Mais ils ne peuvent pas dire que ‘tout le monde refuse de dialoguer’ puisqu’on y va, donc on les coince. Nous ne sommes pas un monolithe. La force du mouvement, c’est sa diversité. Arrêtez de ne pas faire confiance à ceux qui sont les plus anciens dans la lutte. On va le gagner, ce combat ». Applaudissements. « Camille » : « Je parle en mon nom propre. Je ne vois pas pourquoi le Cédépa va discuter, mais s’il reste clairement solidaire des zadistes, et si l’Acipa tient sa ligne, c’est fantastique. Il faut être clair : ne pas se dissocier des zadistes ».
Ouf, l’heure a tourné, tout le monde est fatigué, un échange éclair se produit à propos des médias, et on lève le camp. C’est le brouhaha, on range les chaises en les ré-empilant, on discute ici et là.
Je me retrouve avec Paul et « Bob » dans la voiture de Julien Durand, qui va nous déposer aux Fosses noires. Il se heurte au barrage des gendarmes mobiles, au carrefour de la Saulce. Discussion avec le gradé, pendant qu’un autre bleu regarde les passagers d’un air inquisiteur. « On applique une politique, dit le gradé, vous les avez élus, nous aussi on a voté, mais là, je suis neutre, j’applique ». Pas moyen de tourner à gauche vers les Fosses noires, il faut aller faire le détour par La Paquelais.
Chez Paul, on discute un bon moment avec Julien Durand. Il connait le dossier par cœur. On parle de la police. Les gendarmes ne sont pas si à l’aise, dans ce terrain boueux et bocager. J’ai l’impression que depuis des années, les forces de répression se sont entraînés à la guerre urbaine, dont la répression israélienne à Gaza est le prototype pour les polices du monde entier (voir aussi Mathieu Rigouste, La domination policière. Mais elles ne maîtrisent pas les techniques d’intervention en milieu campagnard, comme l’a montré la résistance des occupants de la Zad depuis octobre. Cependant, on tombe d’accord : si l’Etat veut investir le site, il le pourra. L’enjeu est la bataille de l’opinion publique : la violence policière n’a pas ici bonne presse.


Source : Hervé Kempf pour Reporterre

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